Pour souligner à ma manière le 100e anniversaire de la fin de la Première Guerre mondiale, je suis allée en décembre en Nouvelle-Écosse en passant par le Nouveau-Brunswick. Je me suis arrêtée à la Beaverbrook Art Gallery de Fredericton pour découvrir un musée fondé par Sir Max Aitken (Lord Beaverbrook) qui a ouvert officiellement ses portes au public le 16 septembre 1959. La date a retenu mon attention; je suis née un 16 septembre. En tant que journaliste indépendante spécialisée, experte en art et théoricienne de l’art, étais-je destinée à faire ce voyage pour raconter cette histoire ? J’ai toujours pensé qu’on ne choisissait pas l’art, mais que c’était lui qui nous choisissait.
J’ai arpenté les salles du Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse et celles du Musée maritime de l’Atlantique où deux expositions sur l’explosion d’Halifax étaient présentées. 101 ans, presque jour pour jour, après l’un des évènements les plus tragiques de l’histoire maritime du Canada, j’étais là, à Halifax, au plus près de l’évènement, découvrant artefacts, lisant textes et témoignages de l’époque. Tous les détails de cette page d’histoire étaient présentés au Musée maritime de l’Atlantique dans une exposition temporaire et une exposition permanente des plus intéressantes.
L’explosion d’Halifax s’est produite le 6 décembre 1917. Dans un détroit du port d’Halifax, le SS Imo, un navire norvégien, sur son départ vers New York, n’a pu éviter une collision avec le SS Mont-Blanc, cargo français, entrant au port pour faire le plein de carburant. Le contact des deux coques ont provoqué des étincelles qui ont causé un incendie sur le pont du Mont-Blanc qui tenait plus de 246 tonnes de benzol en barriques sur le pont, lesquelles se sont enflammées presque aussitôt. Le pire était à venir, puisque dans les entrailles du bateau étaient entassées 250 tonnes de TNT, 2 400 tonnes d’acide picrique et 62 tonnes de nitrocellulose, le tout destiné à la France pour soutenir sa participation à la Première Guerre mondiale. La déflagration, l’équivalent de près de 3 000 tonnes de TNT, a produit une onde de choc de 1 500 mètres/secondes, la température a atteint les 5 000 degrés Celsius en son centre, pulvérisant le Mont-Blanc et causant un tsunami de plus de 20 mètres, rasant 2,5 km² de la ville d’Halifax, tuant 2 000 personnes et en blessant 9 000 autres. Cette explosion de main d’homme a été la plus meurtrière, jusqu’au largage des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, 28 ans plus tard. La déflagration a été entendue jusqu’à 400 km du lieu de l’accident.
Parmi les quelque 120 artistes qui ont produit près de 1000 oeuvres d’art sur le sujet, l’artiste londonien Harold Gilman a reçu, au début de 1918, une commande de la part du Fonds de souvenirs de guerre canadiens (FSGC). Il devait peindre le port d’Halifax, lieu où s’était produite, quelques semaines au auparavant, la dramatique explosion. En juin 1918, l’artiste Arthur Lismer a reçu, lui aussi, une commande du même organisme. Il devait documenter l’effort de guerre à Halifax.
Cette demande s’inscrivait dans l’ambitieux programme axé sur les arts qu’avait créé l’homme d’affaires canado-britannique Max Aitken (plus tard appelé Lord Beaverbrook) que je venais tout juste de rencontrer par le biais de son legs extraordinaire au Nouveau-Brunswick (la Beaverbrook Art Gallery qu’il a fondée à Fredericton qui est, à mon humble avis, l’un des plus beaux musées au Canada).
Mon périple artistique et historique s’est poursuivi jusqu’à Ottawa, en janvier 2019. Pour souligner le 100e anniversaire de la fin de la Première Guerre mondiale, le Musée des beaux-arts du Canada et le Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse présentaient l’exposition intitulée Le port d’Halifax 1918. Harold Gilman et Arthur Lismer. L’exposition de ces deux artistes, respectivement britannique et canadien, a été ma conclusion avec près de 3000 km parcourus entre chez moi et ces divers lieux d’exposition.
Le port d’Halifax 1918. Harold Gilman et Arthur Lismer est une exposition qui propose au public une vingtaine de peintures et dessins ainsi que des éléments d’archives. Au lieu de présenter le côté désolé, sordide et dur de la guerre, Gilman a plutôt dépeint des navires de guerre et des usines implantées dans un décor optimiste, calme et verdoyant. Quant à Lismer, il était fasciné pour le « razzle-dazzle », cette forme de camouflage qui dissimulait les navires de guerre qui sillonnaient les eaux au large du port d’Halifax à l’époque. Pour Gilman et Lismer, les commandes du FSGC représentaient des défis qui repoussaient les limites de leur pratique artistique.
Le sublime tableau de Gilman, Le Port d’Halifax, mis à l’honneur dans cette exposition, a clôturé sa carrière car il est décédé de la grippe espagnole au début de l’année 1919, un siècle avant la rédaction de ce texte qui nous le rappelle aujourd’hui à notre mémoire.
Passé, présent et futur se rejoignent dans l’art, cela n’a jamais été aussi vrai qu’en ce moment au Musée des beaux-arts du Canada qui propose au public plusieurs expositions temporaires et permanentes qui nous font véritablement voyager dans le temps.
L’exposition Le port d’Halifax 1918. Harold Gilman et Arthur Lismer se termine le 17 mars 2019.