Par HeleneCaroline Fournier

Chantal Brunelle est née en 1963 au Canada. Elle a expérimenté plusieurs médiums avant de choisir définitivement la peinture à l’huile. L’expression, par le biais de ce médium, est un besoin vital pour l’artiste qui y trouve un véritable refuge. Au départ, il ne s’agissait que d’une gestuelle spontanée et énergique, ce qui a donné des abstractions au couteau où l’on reconnaissait malgré tout quelques formes animales. Plus tard, ces formes ont évolué et ont pris une dimension plus figurative, quoique l’on décèle toujours quelques vestiges d’abstraction à l’intérieur d’une forme plus surréaliste, laissant apparaître sur la toile des animaux déformés, réinventés, sortant d’une manifestation du subconscient, probablement un écho à son propre vécu. Les animaux sont fascinants de par leurs formes (parfois insolites). Malgré un fond sombre (presque toujours noir) et une gamme de couleur très épurée, il n’y a pas d’horreur ou de méchanceté dans ses oeuvres. Ses poissons aux longues dents, qu’on croirait sortis d’un film de Jaws, prêts à mordre un doigt trop accusateur, ne sont pas si terribles et les courbes de leur anatomie contribuent à adoucir la puissance effrayante qui pourrait s’en dégager. Cette fascination pour les animaux remonte à plusieurs années. C’est dans leur pureté, leur beauté naturelle et dans leurs émotions (joie, tristesse, peur, colère, etc.) que Chantal Brunelle véhicule son propre ressenti face à la vie. Placés dans un environnement neutre et sombre (mais jamais défaitiste), avec leurs corps lumineux, ils prennent tout l’espace pictural, leur redonnant ainsi toute leur grandeur. Cette gestuelle, libre et dénuée d’influence, laisse parfois l’amateur d’art songeur car, il s’étonne souvent de l’aspect « sombre » des oeuvres. Pourtant, après réflexion, il est le premier à comprendre que l’artiste a voulu exprimer autant le négatif que le positif de la vie. L’univers insolite de Chantal Brunelle peut dérouter, mais il convient très exactement au monde dans lequel nous vivons. Son regard maternel, face à ses petits êtres qu’elle a portés et mis au monde, est une caresse pour ses animaux qui portent en eux une attitude presque humaine, familière, en tout cas, à l’amateur d’art qui observe et étudie l’attitude de ses oiseaux, de ses lapins, de ses poissons, etc. C’est d’ailleurs ce qui ressort des commentaires du public européen. Ses expositions en France et en Belgique ont débuté en juin 2006 et se poursuivent depuis, à un rythme des plus enviables pour une artiste de la ville de Québec qui a une vision toute personnelle de l’être artiste qu’elle dépeint tout naturellement comme un être sensible à part des autres, qui ressent, voit et interprète les choses de la vie différemment du commun des mortels qui n’a pas, en lui, cette sensibilité exacerbée qui le pousse à coucher sur toile ou sur papier le trop-plein d’émotions ou de sentiments captés. Etre artiste serait donc un état d’être et un mode de vie, car « toute sa vie tourne autour de l’art », raconte l’artiste dans une entrevue. « Une vocation, oui, en ce sens que l’artiste est bâti ainsi. Ce n’est pas un choix de carrière, c’est une puissance, en lui, qui le pousse en avant, vers l’art ». Ce n’est donc pas un métier au sens propre du terme, comme on pourrait l’entendre pour une profession salariée, qui débute à 8 heures et qui se termine à 16 heures, avec deux ou trois semaines de vacances par année et des congés les jours fériés. « C’est un tout : une manière d’être, une manière de penser authentique et personnelle, une manière d’agir qui transpire partout, quoi qu’il fasse dans sa vie ». C’est, en tout cas, ce que Chantal Brunelle est réellement : une artiste authentique, ayant une sensibilité particulière et qui vit PAR l’art et POUR l’art.

Mais où se situe l’artiste d’aujourd’hui dans une société qui n’a que le mot « dollar » à la bouche ? Y a-t-il une place pour l’artiste qui « survit » bon gré, mal gré, sans avoir un autre moyen de revenus à côté ? Selon son expérience personnelle, Chantal Brunelle, insiste sur le fait qu’il faut du temps pour bâtir une carrière rentable et espérer gagner sa vie en tant qu’artiste peintre, mais remarque que la société est très intolérante et n’hésite pas à pointer injustement du doigt les artistes, les taxant de « poids pour la société » ou de « paresseux ». Chantal Brunelle a une vision très lucide de la vie, mais ne perd pas espoir qu’un jour les artistes seront compris – et en tout premier lieu par ceux qui disent vouloir les aider avec des programmes gouvernementaux d’aide aux artistes et qui ne soupçonnent même pas la complexité des documents qu’il faut soumettre pour se voir finalement refuser l’aide espérée et si nécessaire à la survie. Chantal Brunelle en a fait l’expérience, alors qu’elle répondait à tous les critères et qu’elle débutait des expositions en Europe. Une aide financière gouvernementale qui aurait été la bienvenue à ce moment-clé de sa carrière. Heureusement, elle a trouvé un soutien particulier auprès  de gens, des mécènes, qui ont cru et qui croient toujours en elle et qui la poussent à aller de l’avant. L’aide, qu’elle vienne des parents, des amis, des galeristes, des experts en art, des critiques, des agents, etc., est nécessaire pour assurer une continuité dans la carrière d’un artiste, qu’il soit « rentable » ou non. « Lorsqu’on rencontre une artiste comme Chantal Brunelle, qui a le feu sacré en elle, qui vit que pour l’art, qui ne pense qu’à cela, qui a du talent, qui se donne à deux cent pour cent dans son travail, qui nous apporte du bonheur par sa gentillesse, qui nous fait nous questionner sur la légitimité de la société actuelle, qui ne pourrait pas vivre sans pinceau et sans toile, etc. on se doit d’agir et d’aider un être qui n’a pas un gramme de méchanceté en elle à s’épanouir dans son art » a déclaré un mécène qui a demandé à rester anonyme. C’est ainsi que les artistes qui se donnent entièrement à l’art doivent survivre – pour un temps, en tout cas – dans notre société actuelle, attendant les jours heureux de la gloire et du succès. Cependant tout reste à construire, à commencer par l’éducation des amateurs d’art et des galeristes qui continuent à diffuser un art traditionnel, axé sur les paysages de certaines régions du monde. Très peu de galeries osent diffuser des oeuvres plus assumées qui sortent des tripes de leurs créateurs. L’art québécois est perçu, à l’étranger, comme un art de paysage pour touristes égarés. La crédibilité d’un artiste québécois exposant en Europe est donc très difficile à obtenir, mais comme le disait l’artiste avec une touche d’espoir, un cri du coeur et un peu de philosophie : « Le Québec ne manque pas de talents, c’est juste qu’il les cache. De grâce, ouvrez les yeux, professionnels du domaine artistique, et croyez-moi : l’art québécois aura la cote partout à travers le monde » pour peu qu’on laisse les artistes vivre et créer librement et qu’on les accepte tels qu’ils sont.

Lire l’article de la revue L’ArtZoomeur (Dossier: Les artistes d’aujourd’hui) en pdf