Par HeleneCaroline Fournier

Isabelle Leblanc a marché sur les pas d’Hironimus et de ceux qui, comme lui, on fait l’exercice de produire une oeuvre à tous les jours pendant un laps de temps plus ou moins long. Jack Hironimus a débuté en 2005 avec « Les Absolues », oeuvres quotidiennes tirées de l’actualité qui ont été créées sans restriction ni réserve et qui ne peuvent s’envisager autrement. Le groupe « 365 Days » s’inscrit également dans cette lignée avec des photographies, surtout des portraits, imposant à chaque participant du groupe de se photographier sans l’aide de personne pendant une année complète.

Le concept de peinture « Les Matins de la rue Chapman » d’Isabelle Leblanc a débuté le 25 mars 2009 et consistait en trente matins, trente levés de soleil et trente paysages différents à saisir. L’éveil du printemps s’est fait, jour après jour, sous les yeux de l’artiste installée dans son modeste atelier de la rue Chapman à L’Ancienne-Lorette (Québec-Canada). Isabelle Leblanc, artiste multidisciplinaire, a accueilli la lumière du jour en observant les couleurs en bataille qui cherchaient à s’imposer; le bleu-gris poussait le bleu mauve vers le Sud, le jaune canari répliquait à l’orangé qui, à son tour répliquait au rosé. « J’y vois une beauté brute et charismatique » explique l’artiste.

Après plusieurs changements de costumes, le dieu solaire apparaissait enfin dans toute sa majesté spectrale. La scène s’éclairait et la spectatrice, aux premières loges, avait de quoi s’exprimer avec ses pinceaux. L’aventure aurorale a débuté alors qu’il restait de la neige au sol. La timide verdure tentait de se frayer un chemin. La neige fondait avec lenteur; c’était le printemps québécois, lent à s’amorcer. Avec lui, l’éveil de la créativité, comme une sève qui se mettait soudainement à couler dans les veines de l’artiste. Jour après jour, le paysage changeait et aucun matin ne se ressemblait. L’artiste attentive captait les changements de Dame Nature qui surprenait par sa diversité et par sa beauté inégalable.

Le concept de peinture « Les Matins de la rue Chapman » était simple mais exigent. Il imposait une discipline quotidienne, même les jours de grisaille. L’idée de peindre le ciel de chaque matin pendant trente jours remontait à des expériences passées, notamment au Séminaire St-François, alors que l’artiste n’avait que 16 ans. C’est dans un cours de communication que son professeur, Monsieur Pierre Lacerte, a demandé de choisir à ses étudiants un projet qui s’échelonnait sur une durée de temps limité. Isabelle Leblanc a choisi le dessin comme forme d’expression avec l’intégration d’une forme abstraite – toujours la même – à l’intérieur d’un univers représentant l’humeur du jour. Cette forme de création et de communication par le dessin lui a enseigné une vérité cachée qu’elle explique par des mots simples : « j’ai réalisé qu’une forme que l’on pense parfaite évolue dans le temps, à l’infini ». Ce cours lui avait ouvert un canal créatif qu’elle n’a jamais cessé d’utiliser par la suite. C’est le peintre Monsieur Claude A. Simard qui a été son professeur de création publicitaire à l’Université Laval qui lui a donné le goût de continuer dans les concepts quotidiens. Cet artiste reconnu de Québec a dans ses poches un petit carnet noir où il dessine quotidiennement des moments captés sur le vif et immortalisés à l’encre noire avec une touche de couleur. De petits trésors inconnus du grand public qui se lisent comme un journal intime. « L’art de capturer le temps qui passe d’un geste de la main n’est pas donné à tous. J’ai simplement voulu tenter ma chance », explique l’artiste dans sa démarche sur « Les Matins de la rue Chapman ».

Ses trente pièces, toutes de 25 cm x 35 cm, peintes à l’acrylique sur du Papier Fabriano Pittura 400g/m2, présentent toute l’évolution du printemps du 25 mars 2009 au 23 avril 2009. Quand on regarde l’ensemble des oeuvres qui composent « Les Matins de la rue Chapman », il s’en dégage un caractère puissant et éloquent d’une grande intensité de lumière. Les couleurs sont vives et pétillantes. Les masses s’étendent à l’horizon et on reconnaît le caractère énergique du trait de pinceau de celle qui signe « Leblanc ».

« A ceux qui me demandent c’est quoi l’art ? » Isabelle Leblanc répond « c’est un millier de moments privilégiés où notre passé, notre présent et notre futur se marient et où la noce est différente chaque fois. Il y en a qui traversent les années, d’autres pas. La seule constante est cette boule d’énergie que l’on ressent quand la noce se prépare… une poussée d’adrénaline, un mélange d’excitation, de fébrilité et de calme. « Mix » étrange qui, pourtant, ne change jamais où il en résulte chaque fois quelque chose d’unique ».

Article tiré de la revue L’ArtZoomeur (Dossier: Critiques d’art) vol. 1