Par Sylvie Pothier et HeleneCaroline Fournier
J’ai aimé la proposition d’HélèneCaroline… « Parler des femmes dans l’art ». Mais parler des femmes dans l’art revient au même que de parler de la place des femmes dans nos différentes sociétés. La femme est souvent la « mère » porteuse d’un avenir toujours en devenir. Elle peut être reconnue comme inspiratrice, égérie, muse, conservatrice de musée, commissaire d’exposition, directrice de galerie, mais créatrice très rarement. Son art s’il est en douceur n’est pas approuvé par les hommes donnant le ton et la « tendance » du marché. S’il est fort, créateur, il devient viril donc dérangeant et repoussé. Combien de femmes sans prénom pour présenter un dossier, un travail ? 4% de femmes exposées dans les musées, plus de 50% de l’humanité. Tout est dit avec seulement deux pourcentages. Aucune femme à la base d’un mouvement, d’un courant tant dans les arts plastiques que dans la composition musicale. Combien de femmes laissées pour compte, le long de la route de la création ? Combien de temps pour une simple reconnaissance d’une Camille Claudel ou d’une Frida Kahlo, mais encore une fois dans l’ombre d’un Rodin ou d’un Diego Riviera ? Pour l’artiste solitaire, non accompagnée par un « grand homme » ni par une famille aisée et reconnue, le chemin n’a pas de fin. Pour un garçon, il sera difficile, semé d’embûches, mais la reconnaissance par ses pairs peut arriver. Pour une fille, il sera long, semé d’embûches, toujours douloureux et au bout, une grande solitude, une conduite au désespoir qui fait que souvent une femme arrête de tenter de créer… Si, en plus, elle fait des enfants, elle se sent coupable ou change sa façon de peindre, de voir, de sculpter, pour ne pas dévoiler la part sombre de son être. Une femme ne doit-elle pas toujours être lumineuse, douce et tendre !? Par ailleurs, il est triste de constater le peu de solidarité entre les femmes plasticiennes et les directrices de galeries. Toutes encombrées, encore par une vieille tradition machiste qui veut que les femmes soient jalouses, envieuses et ne s’aiment pas entre elles. Un point gagnant sans force pour la gent masculine. Pour ma part, je pense que tant que les femmes resteront dans ce monde pré-défini dans lequel on tente de les cantonner il faudra, pour la petite poignée qui lutte, continuer le combat. Mais si, aujourd’hui, la communauté féminine, sans féminisme outrancier, se soutient, alors la visibilité des femmes sur le marché de l’art trouvera enfin sa place et la parité pourra s’installer. Nous nous devons aussi de construire un « new féminisme » dans l’art sans nous soucier des conventions pré-établies par l’autre moitié de l’humanité. Nous pouvons admirer les grands peintres, mais nous pouvons aussi en faire partie intégrante et donner à voir ou à entendre une autre musique. Et comme pouvait le dire Olympes de Gouges, (auteur des droits de la femme et de la citoyenne). « Si la femme a le droit de monter à l’échafaud, elle a aussi le droit de monter à la tribune », j’ai envie de dire « si la femme a le droit de créer elle a aussi le droit de le montrer et d’en vivre ».
Depuis le début des temps, les femmes se sont battues pour obtenir ce que nous prenons aujourd’hui pour acquis, dans nos sociétés occidentales de bien nourris. Au XXIème siècle, dans certains pays, les femmes n’ont pas encore le droit de vote, elles sont pratiquement à la merci d’une société essentiellement gouvernée par des hommes qui laisse très peu de liberté sinon de responsabilité décisionnelle à la femme. Dans certains pays, le statut de la femme reste précaire… il n’y a qu’à penser à ce que certaines africaines subissent comme mutilation sous prétexte de la tradition ancestrale ou le sort des petites Chinoises qui sont isolées dans des mouroirs et qui n’atteindront jamais l’âge de 2 ans (pour ne nommer que deux injustices directement liées à la condition féminine de l’être humain). Au Canada, dans un pays perçu comme civilisé, industrialisé, économiquement bien portant, ayant des plans sociaux d’aide aux démunis, etc. les femmes se battent encore pour obtenir l’équité salariale dans certaines professions. Bien qu’il y ait une prise de conscience du problème, parfois avoué du bout des lèvres par l’État ou le Gouvernement, la pauvreté des femmes reste un problème de société. La femme artiste qui souhaite évoluer dans un niveau élevé est soumise à des problèmes reliés au sexisme. C’est l’une des réalités du marché de l’art. Bien que la vocation d’artiste puisse être précoce (chez l’homme comme chez la femme), certains grands artistes d’aujourd’hui racontent leur parcours en soulignant que leur vocation qui s’est manifestée à l’adolescence a été contrariée par l’autorité parentale à cause des débouchés aléatoires de la profession. Pourtant, les femmes, selon une étude sérieuse sur le sujet, ont été moins contrariées que les hommes. On les retrouve davantage dans les métiers reliés à l’art tels que la décoration ou l’enseignement. Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à avoir suivi un enseignement artistique, mais sont nettement moins nombreuses à avoir suivi un enseignement artistique supérieur. Dans l’ensemble, avant de se démarquer au niveau le plus élevé, on note un plus grand nombre d’artistes de sexe féminin que masculin. Toutefois, les femmes restent souvent dans la zone floue, entre l’amateurisme et le professionnalisme. Les femmes sont moins nombreuses que les hommes à pratiquer des disciplines artistiques multiples. Elles se cantonnent dans le secteur de la figuration traditionnelle et sont moins nombreuses que les hommes à opter pour les mouvements d’avant-garde. Leurs pratiques artistiques et leurs choix esthétiques contribuent à les éloigner du niveau le plus élevé de la réussite sociale sur le marché de l’art international. Le premier signe de cette démarcation flagrante est la présence minoritaire des femmes parmi les lauréats des grands prix en art. Les caractéristiques sociales de l’artiste de haut niveau ont été établies par une étude sociologique (faite par le Centre de Sociologie des Arts) qui a démontré que les artistes de haut niveau répondaient à certains critères bien précis : Ils ont une formation artistique de niveau supérieur (l’École des Beaux-Arts, par exemple), ils ont exposé dans leur pays et dans des pays étrangers, beaucoup viennent des grandes villes, ils sont issus d’une classe sociale élevée (leurs parents avaient des professions libérales), certains sont issus de famille d’artistes (ce qui a contribué à une éclosion artistique dès l’enfance), l’âge des artistes ayant atteint cette réussite sociale au niveau international est supérieur à celui de la population active, beaucoup sont d’origine étrangère (en fait, il y a une sur-représentation des étrangers par rapport à toute autre profession), l’attrait pour l’art s’est développé très tôt (chez certains avant l’âge de 12 ans), les artistes font majoritairement de l’abstrait et participent à des courants d’avant-garde. Ils exposent dans les grands salons d’art contemporain et participent régulièrement à des ventes publiques (ventes aux enchères). Ces artistes font partie de la Jet Artist International ; c’est-à-dire qu’ils se déplacent de salon en salon, à travers l’Europe et les Etats-Unis et sont représentés, bien souvent, par des musées ou des galeries qui ont l’exclusivité de l’artiste pour un territoire (pays) précis. Finalement, l’artiste international s’impose par son comportement qui est, à chaque instant et quoi qu’il fasse, la définition même de ce qu’est, dans son irremplaçable singularité, un véritable artiste. Pour ceux qui s’intéressent aux statistiques, quelques chiffres intéressants ressortent de l’enquête. On note que dans l’art (à son plus haut niveau), 42 % des oeuvres sont abstraites, 36 % sont d’avant-garde et 22 % sont figuratives. Parmi les artistes qui forment la Jet Artist International, seulement 4 % sont des femmes. Outre les pratiques artistiques et les choix esthétiques des femmes, il faut également prendre en considération l’effet du mariage. Plus de femmes abandonnent leur carrière professionnelle à la suite d’un mariage, contrairement aux hommes. Le mariage contribue donc à creuser un écart entre la réussite masculine et la réussite féminine. Les biographies d’artistes qui sont mariés à un autre artiste montrent bien souvent le soutien financier apporté par l’épouse (qui sacrifiera plus facilement sa carrière professionnelle au profit de son mari artiste). Une autre raison déterminante est son rôle d’épouse et de mère. La femme a de quoi s’occuper. C’est seulement après avoir élevé ses enfants qu’elle se re-consacrera à son activité artistique. Les hommes sont plus libres à l’intérieur de leur propre expression quotidienne parce que leur femme aplanit tout de même beaucoup de contingences pratiques, ce qui pourrait expliquer que la présence des femmes de moins de 45 ans dans des expositions de prestige reste très minoritaire. La représentation des femmes demeure faible dans les acquisitions publiques importantes qui contribuent à créer la notoriété internationale des artistes.
Aussi aberrant que cela puisse paraître, on en vient à conclure que la stratégie « gagnante » (si l’on peut dire) des femmes qui veulent être reconnues comme artistes à un haut niveau est de cacher la féminité qui discrédite : dissimuler le prénom, se définir à tout instant comme professionnelle – revendiquer une évidence, en somme – faire disparaître des sujets de peinture les indices laissant supposer le sexe de l’artiste… Mais est-ce vraiment une stratégie ? En acceptant de jouer le jeu de la dissimulation sexuelle discréditante, ne sommes-nous pas en train de travestir les artistes féminins ? Ne sommes-nous pas en train de pervertir le combat éventuellement émergeant, en jouant hypocritement sur les deux fronts à la fois, prenant les avantages d’une dissimulation quand cela sert les intérêts d’un jour et de prendre les avantages d’être femme quand cela sert d’autres intérêts un autre jour ? On le sait, le diplôme artistique facilite indirectement le départ d’une carrière d’artiste (bien que le statut d’artiste ne s’obtienne pas à travers un cours). L’école assure néanmoins une fonction de socialisation et, parfois, l’insertion dans les réseaux de diffusion et de commercialisation de l’art. C’est là un point de départ important pour la femme artiste. Ce n’est pas la recette miracle qui assurera le succès futur, mais la formation-reconnaissance dans une institution supérieure peut être une clé qui peut ouvrir bien des portes.
Lire l’article de la revue L’ArtZoomeur (Dossier: Les artistes d’aujourd’hui) en pdf