Le Voyage

Le Musée des beaux-arts du Canada

Une machine à remonter le temps. C’est à travers les siècles que l’on arpente le Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa. Il faut plusieurs visites pour faire le tour de cet immense musée. C’est seulement à cette condition que le visiteur – amateur d’art – peut réellement commencer à apprécier les œuvres qui s’y trouvent; une visite de quatre heures n’est pas suffisante.

Le premier étage présente l’art autochtone ancien – certaines pièces ont plusieurs millénaires derrière elles – l’art inuit, l’art canadien de 1950 à 1970, l’art au Québec de 1740 à 1860, l’art dans les Maritimes et en Ontario de 1800 à 1860, l’art canadien de 1860 à 1900 et de 1930 à 1950, Tom Thomson et le Groupe des Sept et l’art moderne de 1960 à 1975. Des expositions temporaires jouxtent les salles d’expositions permanentes. La visite de l’ensemble est une leçon d’histoire canadienne à travers ses artistes les plus populaires et, sans doute, les plus remarquables. Plusieurs noms connus, bien sûr, mais aussi des noms à découvrir – ou à redécouvrir si on les avait malencontreusement oubliés.

Le deuxième étage renferme d’autres trésors : l’art baroque, l’art gothique et renaissant, l’art du XVIIIe, XIXe et du XXe siècle, de l’Impressionnisme, du Postimpressionnisme, de l’Expressionnisme abstrait – notamment américain – et, finalement, de l’art moderne jusqu’à 1960. L’art contemporain est également présent, dans une section à part. Les salles sont nombreuses – certaines sont immenses – et, fort heureusement, le visiteur a un plan pour s’y retrouver. Fauteuils, jardin, atrium et coussins sont là pour le repos des yeux et des pieds. Le jardin et l’atrium ont été conçus par Moshe Safdie, l’un est botanique, l’autre est aquatique. Ce sont des aires de repos et de réflexion. On peut louer des audioguides qui nous en apprennent davantage sur certaines œuvres du musée. Les deux langues officielles du Canada sont largement parlées et il est très facile de se faire comprendre que ce soit à l’accueil, à la librairie ou lors de la visite, auprès des omniprésents gardiens de sécurité, si le visiteur a besoin de rejoindre l’ascenseur le plus proche – par exemple.

Rembrandt

Un voyage dans le temps

Ce qui est fort intéressant dans ce voyage dans le temps, c’est de retrouver l’humilité devant des siècles de pratique artistique. Certaines peintures ont été réalisées avant la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, d’autres avant l’arrivée de Jacques Cartier au Canada. Les balbutiements de la perspective sont présents dans des œuvres dont les détails doivent être regardés à la loupe. Les peintres italiens qui ont fait l’histoire de l’art s’alignent dans un tourbillon merveilleux et on s’étonne au passage de retrouver des ateliers aussi prestigieux que ceux de Boticelli, une œuvre du Tintoret, une autre du Titien… un Moroni Cariani peignant Le Caravage, etc. L’état de conservation des peintures, des sculptures et/ou des pièces de retables – bien que fort anciennes – est remarquable.

Le raffinement des peintres hollandais apparaît comme l’une des qualités les plus précieuses qui semble s’être perdue au fil du temps. L’âge d’or hollandais nous présente des œuvres exceptionnelles, aux nombreux détails – certains plus maîtrisés que d’autres, certains plus émouvants que d’autres. Le regard avisé pourra remarquer les trois oreilles d’un chien, dans la peinture de Jacob Jordaens et son atelier, « Les jeunes piaillent comme chantent les vieux » de 1640, ainsi que les reflets dans les cuivres et l’argenterie. Les Hollandais du XVIe et du XVIIe siècle excellaient en ce domaine. Le visiteur pourra noter que rien n’est laissé au hasard dans la composition des anciens maîtres et, s’il est artiste, il pourra même apprécier les coups de pinceau qui en apprennent beaucoup sur la façon dont ces « grands » s’y sont pris pour réaliser leurs œuvres.

Les époques se succèdent et ne se ressemblent pas. C’est ainsi que de la salle 218 à 217, on passe de Rubens à Duchamp. Un choc pour le cerveau qui a reçu une information du nerf optique qu’il ne peut enregistrer immédiatement. De même qu’on passe de l’art bolonais du dernier quart du XVIe siècle à Jackson Pollock, coulures de peinture à l’appui, sans aucun préavis. C’est dans des moments comme ceux-là que l’on mesure les fossés qui séparent les différents siècles.

L’arrivée dans l’art moderne est une commotion visuelle et sensorielle, une perte de repères, et si l’on termine la visite par la section B201 à B209 – l’art contemporain – après les maîtres, c’est le coup de grâce. Le visiteur ne peut passer au-travers d’autant de siècles avec une telle rapidité. Le cerveau n’a pas encore assimilé tous les détails, tous les personnages, tout l’esthétique de l’art traditionnel, qu’il se retrouve précipité dans l’art contemporain de but en blanc. L’incompréhension ne peut que s’installer avec le malaise que l’art contemporain – déjà difficile à comprendre pour l’amateur d’art avisé – peut susciter. Idéalement, une seconde visite, uniquement des sections B du premier et du deuxième étage, permettrait une meilleure compréhension de l’art contemporain. Cela permettrait également de prendre le temps de découvrir ce que ces artistes ont à partager par le biais de leurs installations, insolites au premier abord, de leurs arts médiatiques, souvent incompréhensibles à la première écoute, et/ou de leurs œuvres in situ, dans lesquelles le visiteur a un rôle à jouer.

Cornelius Krieghoff

Des grands noms

Rubens, Van Dyck, Jordaens, Duchamp, Magritte, Dali, Matisse, Chagall, Giacometti, Braque, Calder, Arp, O’Keeffe, Mondrian, Léger, Nevinson, Munch, Klimt, Cézanne, Gauguin, de Chavannes, Sérusier, Monet, Degas, Morisot, van Gogh, Rodin, Renoir, Picasso, Sisley, Millet, Tissot, Courbet, Turner, Corot, Delacroix, Boilly, Vigée-Lebrun, Girodet, Gainsborough, Chardin, Lely, Maes, de Witte, Rembrandt, de Heem, Whistler, Tintoret, Titien, Véronèse, El Greco, Poussin, Lorrain, Bourdon, Puget, Giordano, Saraceni, Bentileschi, Barbieri, Bellini, Montagna, Lippi, Pollock, Moore, Krieghoff, Suzor-Côté, Gagnon, Leduc, Walker, Bruce, Colville, Lemieux, Barbeau, Letendre, Riopelle, Borduas, Ferron, Sullivan, Pellan, Harris, Fortin, Biéler, Jackson, Thomson, Morrice, Brymner, Reid, O’Brien, Kane, Légaré, Plamondon, Hamel, etc. ; des noms d’ici, des noms d’ailleurs, des connus, des méconnus et des inconnus. Des artistes qu’on aime, qu’on déteste et qu’on aime détester – dans certains cas.

Les grands noms y sont presque tous. Il en manque quelques-uns… mais ceux qui sont présents font oublier les absents.

Des glacis, des glaciers, des lavis, de la vie, de la mort, des vernis, des craquelés, des craquelures, du flou, du vaporeux, du délavé, des enduis, du religieux, du mythique, du mystique, du symbolique, des lignes, des horizons, des lointains, des paysages fabuleux, oniriques, magiques, des Italiens, des Canadiens, des Européens, des places, des plages, des palaces, de la glace, de la neige, du froid, de la verdure, des soleils, des levers, des couchers, des nuits, des bleus nuits, des carnés, des peaux, encore des peaux, des contes, de la mythologie, du réalisme, du fauvisme, du pointillisme, de l’Impressionnisme, du postimpressionnisme, du dessin, des estampes, des bronzes, du moyenâgeux, de l’impressionnant moyenâgeux, des églises, encore des horizons, des traditions, des nuages, des arbres, des bosquets, des fleurs, des canapés, des drapés, des couleurs, des dames, des femmes, des épouses, des déchirures, des révélations, des enfants, des joues roses, qui rient, qui pleurent, qui posent, des esquisses, encore des esquisses… des groupes, des ateliers, des élèves, des pensées murmurées… des torses, des muscles, encore des carnés, des ongles, des mains, des jambes, encore des corps, des décors, des impressions, de la perspective, de la profondeur, du naïf, des Christs, qui pleurent, qui souffrent, qui souffrent terriblement, de l’eau, des cascades, du bleu, la mer, encore l’horizon, des vagues, des horizons vagues… du génie, sur toile, sur bois, sur carton aminci, sur papier, parfois marouflé… et tout le reste ! Et tant encore !

Article coécrit avec LO (Laurent Torregrossa) – 27 octobre 2013