Par HeleneCaroline Fournier
Les catégories artistiques et esthétiques traditionnelles sont dessinées, redessinées, définies et redéfinies ou remises en question. Où que nous allions, nous ne pouvons pas échapper aux étiquettes. Les partisans du nomalisme artistique, les théoriciens, les historiens de l’art, les sociologues et les autres agents du marché insistent sur cette nécessité ; cet élément de pure décision, de convention sociale ou de consécration qui fait d’un objet, une oeuvre d’art. Passer d’un monde où prévalent critères d’usage et évaluations régis eux-mêmes par d’autres critères et d’autres évaluations, c’est entrer dans le monde de l’art.
C’est toujours une communauté qui juge, fût-elle restreinte à un groupe ou à une tradition. Le plus souvent d’ailleurs, on a affaire à une communauté ancrée dans une tradition spécifique et ce sont des critères d’acceptation explicitables et discutables qui permettent de se prononcer sur une certaine catégorie d’objets qui appartiennent au monde de l’art. Par conséquent, les oeuvres d’art sont des produits – des marchandises – issues de décisions contestables. Parce qu’on ne sait plus ce que sont et doivent être les oeuvres d’art, le pouvoir de certaines personnes nous disent comment sont les choses et quelle est la dernière nouveauté à la mode. Les artistes continuent néanmoins de définir ce qu’ils font et cela donne parfois des discours si obscurs pour les non-initiés que ceux-ci en perdent leur latin. Selon les époques, les autorités académiques, les fonctionnaires de l’état, les critiques, les collectionneurs, etc. se sont disputés et/ou se sont partagés ce pouvoir avec les artistes, comme si les oeuvres issues de la création des artistes devaient justifier de leur pertinence, de leur profondeur et même de leur existence par le biais d’une poignée de gens qui viennent nous dire ce qu’il en est et qui forment notre vision à travers les expositions, les achats, les conseils, les décisions, les déclarations, les entrevues, etc. Aujourd’hui, les commissaires définissent l’art, les fonctionnaires culturels pensent en terme de service public, quant aux artistes, les plus malins semblent chercher des agents efficaces pour les promouvoir. A bien des égards, même si les subventions des uns sont appréciées dans un système qui ne se soucie plus, ni des artistes en tant que créateurs, ni d’un public qui pourrait éventuellement avoir des attentes, l’intervention des autres semble être le canot de sauvetage des artistes embarqués sur un titanesque bateau sur lequel les centres d’art et les musées sont dirigés avec un mélange de terrorisme gentil, de compétence flottante et d’un vague sens de la communication. Normalement, les critiques devraient être au premier rang des commissaires avec les agents d’artistes, puisqu’ils sont censés pouvoir discerner ce qui est prometteur, remarquable, banal ou tout simplement encore non abouti. Toutefois, le pouvoir n’est plus du côté du texte, il est passé du côté de la presse, des collectionneurs et de ces gens qui produisent aujourd’hui des arguments de vente basés sur la mode du moment. De plus, le déplacement du commerce de l’art des galeries vers les ventes publiques a sérieusement entamé l’aura magique des galeries ; le monde secret d’un commerce pas ordinaire, les informations et les conseils initiatiques pour laisser place à la vogue des enchères, d’une mondialisation des transactions et des échanges. En même temps que l’art perdait sa définition, il perdait aussi de son esthétisme. Les valeurs du sentir esthétique sont devenues aussi incertaines que l’art où elles sont supposées se manifester. A la faveur de ce processus de diminution, de nouvelles formes d’expériences émotionnelles sont entrées dans le champ de l’esthétique redessinée et redéfinie : la laideur, la provocation, la fulgurance des oeuvres repoussantes, la froideur des environnements vides, le caractère dérisoire des constructions banales, la privation sensorielle, le malaise et même la douleur perceptive sont devenus des « expériences esthétiques ». Il y a, aujourd’hui, une exceptionnelle consommation de culture. Habitués au changement rapide, nous avons complètement perdu le sens des continuités. La lutte des classes au sein du monde artistique a perdu de son évidence et de sa pertinence car, tout est art et rien n’est art ! Le monde de l’art est divers, changeant, pluriel et multiple, en expansion permanente – et que beaucoup de choses, sinon tout, y est possible. Expressionnisme abstrait, minimalisme, performance, art paysager, pop art, hyperréalisme, déconstruction matériologique, ready-made, body painting, art cinétique, peinture pochoir, peinture graffitis, trans-avant-garde, néo-expressionnisme… On ne peut tous les nommer tant il y en a. On se rend compte de l’ambiguïté conceptuelle de tous les jugements précédents. Certains mouvements ont vieilli ou ont disparu, mais est-ce que se sont les mouvements qui ont connu des éclipses ou les représentations que nous nous faisons de l’art qui ont changé ? Est-ce que ce sont les peintres qui ont fait évoluer la peinture ou si c’est notre manière de les voir qui a évolué ? Est-ce que certains peintres sont soudainement apparus comme des peintres médiocres ou finis ou, au contraire, sont apparus de grands artistes – à moins que ce ne soit nous qui ayons changé de préférences et de goûts !?
La vraie révolution du monde de l’art serait de recommencer à faire attention aux oeuvres et aux artistes, de ne plus faire de musées qu’uniquement pour les conservateurs, par exemple d’abandonner la méthode de l’inattention, du vite fait, du bâclage… pour revenir à un effort de compréhension et de communication avec les artistes – en un mot : de revenir à une relation plus humaine dans un monde d’affaires de plus en plus axé vers une mondialisation et une standardisation de l’art.