ACTE 1
Des militantes écolos du mouvement Just Stop Oil ont jeté le 14 octobre dernier le contenu de deux boîtes de conserve de soupe-tomate sur le chef-d’œuvre « Les Tournesols » de Van Gogh, exposé à la National Gallery de Londres, dont le prix est estimé à plus de 84 millions de dollars. Les manifestantes demandaient l’arrêt immédiat de tout nouveau projet pétrolier ou gazier. La police s’est rendue rapidement sur place après que les deux activistes aient effectué leur méfait et qu’elles se soient collées (littéralement) au mur de la salle d’exposition. Elles ont été arrêtées notamment pour « dégradations ».

Cette nouvelle action du groupe, qui avait déjà ciblé dans le passé des œuvres d’art, intervient dans le cadre d’un mois d’actions où le groupe a aussi bloqué des routes à plusieurs reprises. « La crise du coût de la vie vient des énergies fossiles. La vie quotidienne est devenue inabordable pour des millions de familles qui ont froid et faim. Elles n’ont même pas les moyens de s’acheter une boîte de soupe », a déclaré Phoebe Plummer, militante de 21 ans citée dans un communiqué du mouvement. « Dans le même temps, des gens meurent à cause des incendies et des sécheresses causés par le dérèglement climatique », a-t-elle fait valoir. « On ne peut pas se permettre de nouveaux projets pétroliers et gaziers, ils vont tout emporter ».

Si le prétexte part certainement d’un bon fond et que leurs demandes écologiques sont courageuses, l’acte, par contre, l’est beaucoup moins.

En quoi asperger « Les Tournesols » de Van Gogh fait avancer leur cause ? En quoi s’en prendre à des oeuvres d’art apporte de l’eau à leur moulin dans leur combat ? Pourquoi deux boîtes de soupe (gaspillage alimentaire) alors qu’elles prétendent que des millions de famille n’ont pas les moyens d’acheter une boîte de soupe ? On aurait peut-être mieux compris si elles avaient repeint certaines oeuvres d’Andy Warhol avec de la soupe Campbell (cela aurait même été un concept, à la limite de la performance artistique, et les critiques auraient pu en parler en long, en large et en travers), mais là… « Les Tournesols » de Van Gogh ! Avec, de surcroît, un t-shirt où l’on peut lire Just Stop Oil ! On pourrait même penser qu’elles sont aussi contre l’huile de tournesol !

Leur message n’est pas clair car ces personnes ont utilisé de mauvais codes symboliques pour faire passer leur message. S’en prendre à des oeuvres d’art n’est pas la solution pour régler les problèmes environnementaux. Quand Greenpeace manifeste sur le sujet chaud concernant l’environnement, on ne les retrouve pas la main collée (avec de la superglue) sur un mur dans un musée, arborant fièrement une canne de Heinz à la main. Ils sont sur le terrain, là où leurs actions sont utiles. Et puis, quel est le rapport entre l’extraction de combustibles fossiles, de la soupe-tomate Heinz et l’art ? Au lieu de faire avancer leur cause et de poser des jalons pour une réflexion sérieuse sur le réchauffement climatique et ses effets dévastateurs, le groupe est perçu comme une nuisance.

L’histoire ne dit pas si le pauvre vieux Van Gogh s’est retourné dans sa tombe en voyant cela, lui qui a peiné toute sa vie, qui s’est suicidé à 37 ans, et qui n’avait vendu qu’un seul tableau de son vivant. Il s’est fait jeter des tomates en pleine face, 132 ans après sa mort… et personne ne peut dire pourquoi ce choix de peinture… ni le choix de la marque de soupe. L’oeuvre qui était sous un verre de protection n’a pas été endommagée, seulement l’encadrement a été touché. L’oeuvre a été nettoyée et remise à sa place dans la Galerie nationale et le juge a libéré sous caution les activistes.

Au fait, est-ce que la lutte contre le réchauffement climatique lié à la surexploitation de l’énergie fossile a concrètement avancé avec cette histoire ?

Ces quelques images sont extraites de la vidéo vue sur Twitter. Évidemment, on ne connaît pas tous les tenants et les aboutissants de cette histoire. Par exemple, on ne sait pas si la marque de soupe est l’un des commanditaires du groupe en question, ni si leur action a fait augmenter l’achat de soupe-tomate dans le monde pour nourrir les gens qui n’ont pas les moyens de s’en acheter. Une chose est certaine, en tout, cas, c’est qu’il n’y a pas de quoi leur lancer des fleurs pour les féliciter de leur action !

ACTE 2
Quelques jours plus tard, le 23 octobre, on apprenait que deux militants du groupe Letzte Generation (Dernière génération) avaient aspergé de purée de pommes de terre une autre oeuvre. En Allemagne, cette fois-là, au musée Barberini de Postdam. Un tableau de la série des Meules, du peintre Claude Monet, évalué à 110 millions.

«Nous sommes dans une catastrophe climatique et tout ce dont vous avez peur, c’est d’une soupe aux tomates ou de la purée projetée sur un tableau», s’est indignée en allemand l’une des militantes, à l’adresse des gens dans la salle d’exposition et d’un complice qui filmait la scène. Comme celui de Van Gogh, le tableau de Claude Monet vandalisé était protégé par une vitre, si bien qu’il n’a pas été endommagé.

ACTE3
Puis, dès le lendemain, des militants écologistes du groupe Just Stop Oil ont entarté le 24 octobre l’effigie de cire du roi Charles III au célèbre musée londonien Madame Tussauds. «La science est claire. La demande est claire: arrêtez les nouveaux projets pétroliers et gaziers. C’est de la tarte». S’il y a bien une personnalité publique en Angleterre qui se soucie beaucoup des problèmes environnementaux, c’est bien le nouveau roi qui est un passionné de botanique et de jardinage. Il a passé plus de vingt-six ans à transformer le domaine de Highgrove House pour en faire l’un des plus beaux jardins du monde. Il est l’une des premières personnalités internationales à attirer l’attention du monde sur le danger posé par le réchauffement de la planète. Il a même pris la parole à l’ouverture de la Conférence de Paris de 2015 sur les changements climatiques. Tout récemment, il a souhaité participer à la COP27, mais il a été remis en place par la PM Liz Truss qui s’y est opposée formellement (et qui a démissionnée depuis). Bref, pourquoi l’avoir choisi pour cible ? La question est légitime quand on sait que 8 jours auparavant, le même groupe s’en était pris à une concession de la marque automobile de luxe Aston Martin en plein centre de Londres. Encore là, quel est le rapport d’avoir choisi cette marque de voiture plutôt qu’une autre ? Si ce n’est que le roi conduit ce type de voiture, qu’il est un artiste aquarelliste confirmé… et qu’il aime les fleurs et vit à la campagne dans le Gloucestershire. Est-ce, au fond, lui qui serait visé ? Quand on relie des points numériques entre eux, à la manière d’un dessin, on voit se profiler la silhouette de l’absurdité. La cause est noble, mais le chemin pour arriver à des changements n’est pas le bon.

REBONDISSEMENTS
Deux militants écologistes ont été condamnés le 2 novembre à deux mois de prison, dont un avec sursis, pour s’en être pris à La jeune fille à la perle, célèbre tableau de Johannes Vermeer exposé aux Pays-Bas. Le 9 novembre, ce fut au tour de la Galerie nationale d’Australie à Canberra. L’oeuvre « Campbell’s Soup Cans » de Warhol a reçu les mains collées de manifestants pro-climat. Les activistes ont également dessiné des graffitis sur les protections des différentes toiles qui composent l’oeuvre, sans les abîmer. Les protections ont été ensuite retirées pour être nettoyées. Les manifestants ont expliqué l’avoir choisie pour souligner le «danger du capitalisme».

Pour boucler la boucle, ils auraient au moins pu jeter des tournesols sur « Campbell’s Soup Cans », il y aurait eu un concept artistique intéressant et des historiens de l’art auraient trouvé matière à réflexion ! Ils auraient fait avancer la cause et nous aurions vu une forme d’intelligence derrière tous ces méfaits (ou, à défaut, une forme de connaissance en art actuel dans leur performance). On aurait pu même théoriser l’importance de la soupe dans l’art ou l’importance de la soupe comme soupape d’évacuation… ou pire, quelqu’un aurait pu inventer le mouvement artistique « le soupisme » !

Il y a tellement de musées dans le monde qu’on peut dire que cette histoire d’oeuvres vandalisées est loin d’être terminée à moins qu’il n’y ait un os dans le potage !