QUAND LA DESCRIPTION DONNE LE TON À LA CRÉATION

Habituellement, on décrit une œuvre après qu’elle ait été créée. Les mots viennent alors mettre des contours à ce que l’œil perçoit, comme une tentative d’en cerner le sens. Mais ici, le processus s’est inversé : le point de départ, c’était la description elle-même. Les artistes ont dû s’imprégner d’un texte, en saisir l’essence, puis le traduire en image, en matière, en mouvement. Ce défi artistique reposait donc sur un pari audacieux. Ils devaient donner naissance à une œuvre à partir d’un langage écrit, sans modèle visuel, seulement guidé par les mots et leur résonance. C’était un dialogue entre le visible et l’invisible, le tangible et l’intangible, entre ce qui est dit et ce qui peut être ressenti.

LA DESCRIPTION FOURNIE AUX ARTISTES

« Il n’y a ni commencement, ni fin. Seulement un espace vaste, baigné d’un silence qui respire. Au premier regard, la toile ne s’impose pas. Elle murmure. Un souffle léger, comme un souvenir d’avant la forme. Un voile d’ocre profond flotte entre deux mondes. La lumière ne vient pas du ciel, ni d’un soleil que l’on pourrait situer. Elle surgit, lentement, depuis le cœur de la matière. Quelque part dans cette transparence dorée, une forme monte. Ni tout à fait humaine, ni tout à fait abstraite. Une présence. Elle s’élève – non par un élan, mais par une écoute. Comme une flamme qui se souvient de sa source. Autour, des couches superposées de couleur vibrent doucement. Des bleus infinis touchent des blancs très pâles, des ors se mêlent à des roses discrets, des violets respirent au bord du visible. Tout est en suspension. Même le temps semble se taire. Il y a une rivière, mais elle n’a pas d’eau. Elle coule à travers la lumière. Peut-être est-ce un fleuve d’énergie, ou un courant de conscience. Peut-être est-ce toi, artiste, qui coules doucement vers toi-même. Sur les bords de cette rivière-lumière, des formes s’éveillent: des pétales sans fleur, des arbres sans racine, des signes sans alphabet. Tout est signifiant, mais rien n’est nommé. Car dans cet espace, ce n’est pas la pensée qui comprend, c’est l’âme qui écoute. Un pont s’avance, suspendu dans l’invisible. Non pas un pont de pierre, mais un passage d’être. Une traversée sans pas, vers un lieu qui n’est pas un lieu : un dedans plus vaste que tout dehors. Et alors, au centre — quelque chose s’ouvre. Ce n’est pas une révélation éclatante. C’est un frémissement, une clarté douce, comme si la lumière avait un visage, mais sans traits. Une sensation de plénitude calme descend dans le corps. Le tableau ne demande rien. Il propose une expérience. Il n’impose pas de regard ; il appelle une présence. Et peut-être, dans ce silence habité, quelque chose en toi commence à s’élever — pas vers un ailleurs, mais vers ce Toi plus vaste, que le monde ne t’a jamais appris à reconnaître. »

LA RÉPONSE DES ARTISTES

Recevoir une telle description, c’était recevoir plus qu’un texte: c’était recevoir une atmosphère, un état d’esprit, un état d’être. Les artistes invités à relever ce défi se sont trouvés devant un espace ouvert, sans repères, sans contrainte de forme. Ils devaient seulement ressentir.

Dans cette description, tout était suggestion: une lumière sans source, un mouvement sans élan, une rivière sans eau. Autant d’images paradoxales qui invitent à un autre type d’écoute — une écoute intérieure. L’enjeu n’était pas de « peindre le texte », mais d’en traduire la vibration, d’en faire émerger une présence propre. Les artistes pouvaient emprunter le chemin de l’art abstrait ou de l’art figuratif.

Certains artistes ont abordé ce défi par la couleur, cherchant à capter la respiration du texte à travers des contrastes subtils. D’autres ont exploré la matière elle-même: transparences, superpositions, textures qui semblent flotter ou se dissoudre, comme si la toile ou la sculpture devenait un espace vivant, en suspension. Chaque œuvre, à sa manière, a incarné une vision différente de ce «pont suspendu dans l’invisible» évoqué dans la description.

Mais plus que les formes ou les techniques, ce défi a mis en lumière ce qui fait la singularité du geste artistique, c’est-à-dire cette capacité à transformer une émotion en présence, à donner forme à ce qui ne peut être dit. Chaque artiste, face à ce texte, a dû d’abord plonger en lui-même. Le silence évoqué n’était pas seulement celui du texte — c’était aussi le leur, celui qu’il fallait apprivoiser pour créer à partir d’un ressenti pur.

Ainsi, les œuvres nées de ce défi ne se ressemblent pas, et c’est précisément ce qui en fait la force. Elles sont autant de réponses personnelles à une même invitation, soit celle de traverser le visible pour rejoindre l’essentiel. Ce défi a révélé que, même face à un même point de départ, l’art demeure un acte profondément intime. Chaque artiste a ouvert un passage différent — un passage d’être, comme le disait la description — et c’est dans ces interprétations multiples que se manifeste la richesse du langage artistique. Finalement, quelques artistes ont «collé» cette description à une œuvre déjà créée car la vibration correspondait à leur création.

LES ŒUVRES RÉALISÉES

œuvre de MAHESVARI

MAHESVARI présente une aquarelle numérique de 20 x 20 cm, intitulée «Silenscension», un mot inventé avec «silence» et «ascension». Cette oeuvre explore la vastitude de l’être intérieur et du silence qui y réside. Elle a choisi d’utiliser ce voile d’ocre profond qui flotte entre deux mondes. Dans cette œuvre, la lumière ne vient pas du ciel, ni d’un soleil que l’on pourrait situer. Elle surgit, lentement, depuis le cœur de la matière. Quelque part dans cette transparence dorée, une forme monte. Ni tout à fait humaine, ni tout à fait abstraite. Elle a choisi de montrer la voie du cheminement pour parvenir au silence intérieur qui est perçu par l’artiste comme une ascension vers la lumière. Ainsi le silence est indissociable de l’ascension.

œuvre de Jean Potvin

JEAN POTVIN présente un dessin aux crayons de couleurs Castle Arts combinés à de l’acrylique. L’oeuvre de 13 x 13 pouces s’intitule «Y a t-il un début et une fin?» Dans cette œuvre, l’artiste explore les formes et les couleurs avec cette présence qui s’élève. Le symbolisme est marqué par les éléments qui, juxtaposés les uns aux autres, forment un tout cohérent, philosophique et narratif qui mène le spectateur vers une introspection pour comprendre le sens profond de l’oeuvre réalisée. L’espace pictural présente la pensée qui comprend et l’âme qui écoute à moins que ce soit l’âme qui comprend la pensée qui écoute. Où débute l’histoire et où se termine t-elle ? Cette traversée éthérée est une histoire sans fin; elle n’a ni début ni fin. Elle est là, présente, intemporelle et vivante, mouvante, dans cet espace vaste, baigné d’un silence qui respire et qui vibre.

œuvre de PAULINA (Pauline Albert)

PAULINA (Pauline Albert) présente une technique mixte sur toile de 24 x 24 pouces qui explore ce qui est en suspension. Le temps, le non-temps, l’espace, le non-espace, tout coule à travers une lumière. L’artiste présente ce côté énergétique de l’être. Symbolisées par ce courant de conscience, sur les bords de cette rivière-lumière, des formes s’éveillent. Tout est significatif et symbolique. Ce pont visible est un passage de l’être, une traversée sans pas, vers un lieu qui n’est pas un lieu: un dedans plus vaste que tout le dehors. Au centre quelque chose s’ouvre et s’élève. C’est une présence près de la nature qui fleurit intérieurement. Les couleurs utilisées indiquent une personnalité optimiste et joyeuse.

œuvre de Danielle Boivin

DANIELLE BOIVIN propose une acrylique sur toile de 34 x 24 pouces intitulée «La vie entre deux mondes» qui touche au temps et au non-temps de cet espace intérieur sans limite. Il y a une rivière, mais elle n’a pas d’eau. Les poissons forment un pont pour permettre le passage vers quelque chose, quelque part, vers un espace intérieur où la dualité chaud-froid/ombre-lumière est constante. Les formes évoluent au centre de l’oeuvre comme une révélation éclatante. Une lumière illumine le paysage, laissant apparaître tous les détails au regard nouveau. L’ensemble tout en mouvement rappelle l’arbre de vie dont les branches prennent racines dans le ciel et représentent la croissance, la résilience et l’interconnexion de toutes choses y compris de tous les mondes.

œuvre de Michel Giroux

MICHEL GIROUX présente une acrylique sur toile de 20 x 16 pouces, intitulée «Au-delà du temps» qui exprime symboliquement la présence au-delà de la limitation temporelle. Cette œuvre révèle une sensibilité remarquable à l’humeur et à l’atmosphère. Elle suggère une vision personnelle puissante. Le paysage, imprégné de lumière éthérée et de formes douces et fluides, montre en son centre une forme verticale lumineuse, une présence radiante dans cet intérieur. Elle se fond parfaitement dans ce monde brumeux, vaporeux, nuageux. Le ciel, ponctué de lumières scintillantes en forme d’étoiles, rehausse l’atmosphère surréaliste de la scène. Ces étoiles forment le firmament personnel de l’artiste; des âmes toujours présentes. La forme circulaire suggère un corps céleste ou un soleil intérieur. Le pont ajoute un élément de passage ou de transition, peut-être une passerelle pour rejoindre ces âmes. Le long du bord inférieur, deux objets indistincts, peut-être métalliques, reposent sur le sol, leur objectif précis est ambigu mais évocateur d’outils ou de pièces ayant une charge symbolique pour l’artiste. L’effet global est celui d’un mystère calme, doux, invitant à la contemplation et à l’engagement émotionnel. Le mélange d’introspection et de transcendance forme une unité harmonieuse qui encourage le spectateur à explorer l’oeuvre plus intimement. La résonance émotionnelle ne submerge pas les sens, elle donne un équilibre rationnel dans ce monde irrationnel, immatériel.

œuvre de Nathalie Landry

NATHALIE LANDRY propose une acrylique sur toile de 18 x 24 pouces, intitulée «Phare intérieur». Cette œuvre présente une interaction délicate de couleurs et de formes sur un fond neutre, sans bruit, silencieux, presque une brume qui apaise les tensions et étouffe le bruit. La composition est dominée par des lignes qui donnent le sentiment de structure architecturale ou organique sans limiter l’imagination. L’utilisation de couleurs douces offre un équilibre dynamique entre fluidité et contrôle. Les éléments figuratifs tels que les oiseaux qui volent librement dans ce ciel sans limite, sans frontière, sans barrière, contribuent à donner l’effet d’une contemplation tranquille et d’un mouvement subtil; un choix convaincant, paisible, pour ce phare intérieur qui penche entre immobilité-immuabilité et mouvement bienveillant toujours présent comme un gardien. Le symbole de «peace and love» est une signature personnelle de l’artiste. Un élément symbolique qui lui est propre. L’oeuvre évoque une atmosphère méditative grâce à son harmonie soignée de couleurs et de formes. La palette en sourdine combinée à des éclats sporadiques d’or suggère une profondeur émotionnelle nuancée qui invite le spectateur à faire une pause et à réfléchir sur son propre monde intérieur.

œuvre de Paxti Xabier Lezama Perier

PAXTI XABIER LEZAMA PERIER a proposé une technique mixte sur toile de 50 x 70 cm comme œuvre représentant au mieux la description. Il explore la présence au cœur de toutes choses et de tout être. Il propose une expérience avec son œuvre intitulée «Amalur». En basque, c’est la Terre-Mère, réceptacle de tout ce qui existe, de tous les êtres vivants et, par conséquent, celui qui rend possible l’existence de l’être humain lui-même. L’artiste appelle cette présence dans un silence habité. Pour lui, la lumière a un visage, comme une flamme qui se souvient de sa source. Quelque chose en lui s’est élevé vers un être plus vaste. Tout est en suspension, même le temps semble suspendre son cours. Cette oeuvre est un parcours cyclique, un mouvement, une énergie. C’est le réceptacle des âmes.

oeuvre de Lucien Carol Proulx

Finalement, LUCIEN CAROL PROULX a proposé une sculpture intitulée «La lyre du rêveur», la sculpture statuaire est en bois d’érable, le rêveur en tilleul et la base en bois d’acacia canadien. Le tout est teint et verni. L’oeuvre de 5,89 kg est d’une dimension de 42,64 x 48,26 x 22,86 cm. L’artiste explore le rêve et son côté surréaliste avec ses distorsions de temps et d’espace. Quelque part dans cet univers particulier, des formes se manifestent, se matérialisent. Il y a une sensation de plénitude calme qui descend dans la matière et cherche à se rendre visible dans cette sculpture, notamment dans ce corps suspendu dans l’invisibilité de cet univers onirique qui entremêle personnages et figures animales. Il n’y a ni commencement ni fin dans cet état d’être et cet entrelacement de formes et de mouvements. Il y a seulement un espace vaste, baigné d’une musique portée qui devient rêve lucide. La lyre symbolise la musique, la poésie et l’harmonie. Elle est l’instrument emblématique d’Apollon, dieu de la musique. Dans la mythologie grecque, elle représente aussi le pouvoir de l’art à toucher l’âme, notamment grâce à Orphée. Elle symbolise l’unité entre le divin et l’humain.

LE LANGAGE ARTISTIQUE

L’art est un langage à double entrée: celle de l’artiste et celle du spectateur. L’artiste, d’abord, interprète le monde à travers sa sensibilité, ses émotions, sa vision personnelle. Il transforme une idée, une impression, un texte — ici, une description — en matière vivante. Ce qu’il crée porte les traces de son regard, de sa subjectivité, de sa façon unique de comprendre la réalité.

Mais dès que l’œuvre quitte ses mains, elle devient autre. Elle s’offre au regard de celui qui la contemple, et chacun y projette sa propre histoire, ses émotions, ses manques, ses élans. L’œuvre n’appartient plus à l’artiste. Elle devient un miroir, et chaque spectateur y voit un reflet différent.

C’est là toute la richesse de l’art. Il y a la forme, bien sûr — la technique, la maîtrise, la composition — qu’on peut admirer, comparer, juger. Mais il y a aussi le fond, cette part invisible, plus intime, souvent négligée. Le fond est l’intention, la signification, le questionnement que l’artiste a tenté de transmettre. C’est en tenant compte de ces deux dimensions que l’on peut réellement approcher une œuvre artistique, non pas pour la «comprendre» intellectuellement, mais pour entrer en résonance avec elle.

Interpréter une œuvre, c’est un peu la recréer à son tour. L’artiste a donné une forme à son monde intérieur et le spectateur lui donne une nouvelle vie à travers son propre regard. Entre les deux, il y a un espace vivant, vibrant, où l’art accomplit ce qu’il a de plus essentiel: relier les êtres par le sensible.

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Images diffusées avec le consentement des artistes – merci de respecter le droit d’auteur

Projet réalisé par Art Total Multimédia en collaboration avec HEART – Au Coeur de l’art, magazine des arts et L’ArtZoomeur, revue d’art