Article publié originellement sur Le Huffington Post Québec
20 ans d’histoire de l’art viennent d’être effacés à New York
Dans la nuit du 18 au 19 novembre, The 5 Pointz Aerosol Art Center, situé au 45-46 Davis Street, Long Island à New York, a été recouvert de peinture blanche, effaçant ainsi 20 ans d’histoire du Graffiti Art. La rumeur d’une éventuelle démolition courait depuis un moment, mais les artistes espéraient sauver leur lieu de création. Tout s’est passé entre 2 et 6 heures du matin, sous protection policière. Le propriétaire des lieux, Jerry Wolkoff, un promoteur immobilier, mettait un terme définitif à l’entente qui le liait à 5 Pointz depuis 1993. La Mecque des graffeurs new-yorkais, un bâtiment d’usine de plus de 22 000 m2 (200 000 pi2), fera désormais place à des condos de luxe.
The 5 Pointz Aerosol Art Center (the Institute Of Higher Burning) – véritable monument, plus fréquenté que le Musée d’art moderne – permettait aux jeunes graffeurs d’exposer en toute légalité auprès de vétérans mondialement reconnus. Plusieurs centaines d’œuvres recouvraient les lieux. Depuis les débuts, une entente avec le propriétaire permettait aux artistes de peindre les murs du complexe qui louait des studios à des artistes. Or, en 2010, avec l’arrivée de projets immobiliers de plusieurs centaines de millions de dollars, les choses ont changé. Le bâtiment n’a pas pu être classé monument historique, malgré tous les efforts des artistes et du fondateur, commissaire et vétéran du Graffiti Art, Meres One, qui ont multiplié les initiatives pour sauver le bâtiment de son destin: la destruction totale – au profit de l’argent.
Qui est le vandale ?
Les artistes, indignés par l’acte irréparable du propriétaire et promoteur, sont nombreux, aujourd’hui, à s’interroger sur l’avenir qu’on leur réserve. Cet acte soulève également de nombreuses questions: où iront les jeunes qui traînent dans les rues si l’endroit n’est plus accessible ? Où iront les artistes pour s’exprimer ? Défieront-ils les lois pour faire entendre leur voix ? Et qu’en sera-t-il de la lutte contre le vandalisme qui est à l’origine de la création du complexe ?
Des recours en justice pour la destruction d’œuvres d’art pourraient être entamés, mais l’argent étant le nerf de la guerre, Meres One et son groupe auront-ils les moyens de poursuivre le riche promoteur? C’est un combat contre le Goliath du dollar à l’image du fossé des classes sociales qui avait mené à la création originelle du Mouvement.
L’origine et l’évolution du Mouvement
Au cours des années, l’art du graffiti s’est diversifié en une approche artistique proposant un large spectre d’expressions. Ce style personnel se voulait avant tout sans contraintes, loin des règles académiques, utilisant parfois des autocollants, des affiches, des pochoirs, de la peinture en aérosol, des pastels secs qui ressemblent plus à de la craie qu’au pastel utilisé pour les beaux-arts, toute une variété de médiums. La plupart des graffeurs se sont libérés de l’utilisation de la peinture en bombe. Le résultat a donné un mouvement post-graffiti, caractérisé par des démarches beaucoup plus artistiques que le style traditionnel du graffiti d’origine. Le mot « graffiti » est un dérivé du mot italien « sgraffo » signifiant « éraflure », son origine première vient du latin graphium tirant son étymologie du grec graphein qui signifie écrire, dessiner ou peindre. L’ancêtre du graffiti urbain contemporain remonte aussi loin qu’aux peintures rupestres.
Si cette forme d’art évoque pour le commun des mortels des dessins ou des inscriptions calligraphiées, peintes, tracées – perçues comme indésirables – sur les murs des bâtiments, sur les murs des stations de métro, sur les wagons ou sur tout autre support non destiné à la peinture, l’art graffiti évoque aussi, pour d’autres, une forme d’expression artistique qui mérite d’être exposée dans des galeries dans sa forme plus élaborée. C’est un art qui possède son propre vocabulaire et sa propre histoire de l’art. À l’instar d’autres formes d’expressions artistiques jugées plus traditionnelles, le Graffiti a ses maîtres.
Objet de propagande pendant la Deuxième Guerre, le graffiti a été important autant pour les nazis que pour la Résistance qui publicisait leurs protestations à un public général. Dans les années 1960-1970, pendant les révoltes étudiantes, les protestants ont utilisé des affiches et des mots peints pour faire passer leurs messages. La technique du pochoir a été le précurseur du mouvement actuel. Aujourd’hui, l’art du graffiti s’est surtout développé dans les années 1970 à New York et à Philadelphie. L’environnement des artistes a fourni de la matière à réflexion autour de la pauvreté et des ghettos. C’était également une façon de dire « j’existe » ; de s’affirmer, de crier au monde des protestations sociales. Cette affirmation a donné l’ambition plastique au mouvement d’origine. La reconnaissance devait forcément passer par la qualité ou par des œuvres spectaculaires qui feraient parler d’elles.
Des pseudos sont apparus en tag (signature), ces noms sont devenus de plus en plus connus et ont inspiré d’autres artistes. Les tags ont pris de l’ampleur en devenant des œuvres majeures, notamment sur les trains de New York qui ont été les supports mobiles et qui leur ont offert une visibilité plus grande. Seen, Lee, Dondi, Stayhigh 149, Zephyr, Blade and Iz the Wiz sont devenus des héros par la quantité et la qualité de leur travail. Si, en 1973, le New York Magazine lançait un concours du plus beau graffiti du métro, les choses ont changé en 1986, quand les autorités new-yorkaises ont voulu protéger leur propriété. Cet art a eu mauvaise presse.
Le phénomène du graffiti s’est étendu et a gagné l’Europe où les trains ont été les principales cibles. Au même moment, les premières expositions de graffeurs ont été organisées à Amsterdam et à Antwerp. Des œuvres ont commencé à apparaître un peu partout en Europe, chaque ville avait désormais ses pionniers. Les œuvres en Europe étaient peintes sur le modèle américain. C’est l’arrivée du Hip-Hop qui a changé le visage des graffitis et le Street Art a donné naissance à une culture très particulière. L’Amérique du Sud et l’Asie ont également été touchées par le phénomène. Petit à petit, le phénomène s’est étendu au monde entier.
Le modèle américain, particulièrement new-yorkais, était centré sur la distorsion des lettres, mais plusieurs démarches ont émergé depuis, poussant toujours un peu plus loin les limites de cet art. Des personnages ont commencé à émerger des lettres, certains dans un style hyperréaliste. La traditionnelle bombe de peinture a laissé place à d’autres outils plus appropriés. L’arrivée d’Internet a aussi contribué à jouer un rôle important dans l’évolution du Post-Graffiti. Des banques d’images et des banques de renseignements ont permis à des milliers d’artistes de différents pays et continents d’évoluer dans cette forme d’expression artistique selon leur propre personnalité, car un graffiti est personnel : c’est un acte avec une signature. Différents styles ont émergé dans ce monde à part, en marge des institutions traditionnelles de la diffusion de l’art visuel. C’est un art de rue. C’est un art fondamentalement urbain et social. L’image du graffiti en tant qu’acte de vandalisme et de dégradation de biens publics reste néanmoins présente dans l’esprit du public, parfois très agacé par cette expression qu’il ne comprend pas. Encore aujourd’hui, peu de villes dédient un coin urbain aux graffeurs.
L’Aerosol Art, le Post-Graffiti, le Neo-Graffiti, le Street Art sont des termes qui englobent cette forme d’expression artistique particulière. Le Canada, lui, a été tardif par rapport au reste du monde. Le mouvement est apparu autour de 1984 dans un boum qui l’a fait disparaître aussitôt. L’art du graffiti est réapparu dans les années 1990 avec un peu plus de contenu. Les grandes villes ont été les plus visées par ce mouvement : Vancouver, Montréal, Toronto – mais le pays de naissance du Art Graffiti reste les États-Unis, à cause de la grande différence des classes sociales et des inégalités reliées au fossé qui les sépare.
Le blanc a recouvert les murs du 5 Pointz, le bâtiment sera bientôt démoli pour le développement immobilier de luxe. Il y aura certainement un impact social à NY car le symbole du lieu était puissant, il était rassembleur.
On vient de rayer de la carte un musée de l’art du graffiti. 20 ans d’histoire de l’art viennent d’être effacés avec de la peinture blanche bon marché.
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Article publié originellement le 2 décembre 2013, sur Le Huffington Post Québec – une galerie d’images est visible sur la page de l’article – quelques heures plus tard, l’article a été repris et diffusé sur Le Huffington Post France et, le 3 décembre 2013, il a été repris et diffusé sur Al Huffington Post Maghreb.