Personne n’est à l’abri des arnaques, d’autant plus s’il s’agit d’arnaques bien rodées. Ces pros de l’escroquerie de l’art ont beaucoup plus d’imagination que les artistes… réputés très inventifs.

Au cours de 20 ans de carrière en tant qu’agente d’artistes au niveau international, j’ai rencontré une multitude d’artistes qui ont été approchés pour des ventes à l’étranger. Quoi de plus normal quand ils sont présents sur différents réseaux sociaux pour promouvoir leur art et créer des contacts d’affaires !

Les histoires qui suivent sont issues de faits vécus et de faits dénoncés par la Maison des Artistes (MDA) en France. Ce texte a pour but d’informer les artistes peintres et sculpteurs, tous pays confondus, principales victimes de ces individus qui sont d’excellents pêcheurs.

La pêche au gros

Quand on va à la pêche, on choisit l’appât. Dans ce cas-ci, l’hameçonnage se fait par des phrases flatteuses: « J’aime beaucoup ce que vous faites », « Votre travail me plaît énormément », « je suis collectionneur et votre travail a retenu mon attention », etc. L’hameçonnage va jusqu’à mettre des titres de certaines des oeuvres de l’artiste dans la lettre d’introduction, ce qui aide à convaincre ce dernier que la lettre lui est vraiment adressée. La pêche se fait également parfois par téléphone et l’artiste se laisse prendre par le sérieux de la démarche. En toute logique, si l’acheteur se donne la peine d’appeler, c’est qu’il doit être vraiment intéressé ! Or, l’appel téléphonique fait partie d’une tactique de séduction.

Le prince

Un autre scénario est celui d’un prince quelconque vivant toujours dans un pays lointain qui ne regarde évidemment pas la dépense et qui a craqué pour une ou plusieurs oeuvres d’un artiste. L’intermédiaire du prince (de l’Émir, du Cheik ou de l’Altesse royale) est l’interlocuteur et discute du montant des ventes, comme s’il s’agissait du cadet de ses soucis. Il est prêt à payer des oeuvres 10 fois leur prix véritable. L’artiste, de peur de manquer la vente de sa carrière, se laisse prendre dans les filets de l’interlocuteur qui dirige la vente du début jusqu’à la fin, ne laissant guère de liberté à l’artiste quant au mode de paiement. L’artiste qui ne demande qu’à vendre se laisse embarquer dans un conte à la conclusion désastreuse. L’interlocuteur est prêt à venir jusqu’à la porte pour prendre lui-même la livraison, souvent dans les 72 heures après l’encaissement du paiement. Le problème est qu’en seulement 72 heures, aucune banque n’est pas capable de vérifier si le chèque déposé a bel et bien des fonds.

La vente sans histoire vs l’arnaque

En principe, dans une vente à distance, il y a: un acheteur, un vendeur, une oeuvre, un paiement, une expédition. Le nom de l’acheteur est le même que celui du mode de paiement (par exemple un chèque ou une carte de crédit). L’adresse du client est la même que l’adresse vers où l’œuvre sera expédiée. Tout est clair. C’est une vente qui se déroule sans encombre.

Dans une arnaque, tout est toujours très compliqué: l’interlocuteur est parfois l’acheteur, mais parfois il est l’intermédiaire d’un riche collectionneur, l’interlocuteur veut faire expédier l’œuvre à une autre adresse (chez une tierce personne qui habite toujours sur un autre continent), l’interlocuteur envoie un chèque qui n’est pas fait au bon montant, l’interlocuteur a des associés qui peuvent venir chercher l’œuvre à domicile, l’interlocuteur désire rester anonyme, le riche collectionneur est trop important pour que son nom soit divulgué, etc. Si la vente commence à se compliquer et que rien n’est vraiment clair et limpide, c’est une embrouille, donc une arnaque. Il n’y a pas de fumée sans feu. Quand ça sent la fumée, c’est qu’il y a le feu. Donc, quand ça sent l’embrouille à plein nez, c’est qu’il y a une arnaque (même si on ne la discerne pas).

L’arnaque au chèque

L’arnaque au chèque est, par exemple, d’encaisser un chèque de 5 000 $ au lieu de 3 000 $ (3000 $ étant le montant prévu de la vente de la peinture ou de la sculpture). L’acheteur demande alors à l’artiste-vendeur de lui retourner l’argent qu’il a versé en trop (dans ce cas-ci 2 mille dollars). Le prétexte est souvent une erreur avec le taux de change, une distraction quelconque, une erreur de client ou encore une erreur du gérant-comptable. L’individu demande à l’artiste de ne pas retourner le chèque mais de l’encaisser malgré l’erreur. Le temps que la banque vérifie le dépôt et écrive à l’artiste pour lui dire que le chèque déposé de 5 000 $ était sans provision, le chèque du surplus que l’artiste a fait à l’arnaqueur-acheteur (chèque envoyé par mandat Western Union) est, lui, encaissé depuis longtemps et bien approvisionné en fonds. Plusieurs victimes d’arnaques au chèque ont mentionné dans des déclarations sur divers forums de discussion que le chèque qu’elles avaient reçu était apparemment un « vrai » chèque, que la banque n’avait rien trouvé d’anormal au moment de l’encaissement, mais qu’au final il s’agissait d’un chèque volé ou contrefait.

Pendant que je préparais cet article, une artiste peintre de France que je connais depuis des années a reçu justement une arnaque au chèque pour l’achat de 5 de ses oeuvres. Le faux chèque d’une banque Suisse qui lui a été envoyé provenait, après vérifications, d’une institution dont la succursale à Paris n’existe plus depuis 2011. Autre bizarrerie, l’adresse de la banque était une boîte postale et, à un iota près, il y avait une coquille dans le nom de la banque qui laissait croire qu’il pouvait s’agir d’un vrai chèque d’une véritable banque qui existe bel et bien en Suisse. L’artiste a porté plainte à la gendarmerie de sa ville en fournissant une copie dudit chèque, mais l’enquête sera vite classée « sans suite » faute de pouvoir retracer l’interlocuteur des courriels, qui lui disait de déposer quand même le chèque au montant erroné et de suivre, par la suite, ses instructions pour lui rembourser le montant versé en trop.

L’arnaque du travailleur en haute mer

L’individu est soit coincé sur un bateau ou sur une plateforme pétrolière en plein milieu de la mer. Il souhaite faire un cadeau à son frère, son cousin (quelqu’un de sa parenté) – souvent pour un anniversaire qui est très proche sur le calendrier. Il est prêt à payer par virement bancaire. Il veut que l’œuvre soit expédiée dans un pays lointain (souvent sur un continent éloigné). Il veut payer par virement; il demande donc les coordonnées bancaires de l’artiste, mais voilà, il est coincé en mer… ce qui fait qu’il va payer l’artiste ultérieurement avec un gros surplus pour le délai d’attente du paiement. Entre temps, il demande à l’artiste d’envoyer son oeuvre contre la promesse d’un paiement qui, évidemment, ne viendra jamais.

Des versions plus ou moins améliorées

Il existe différentes versions à ces arnaques. Le pro de l’arnaque demande le prix ferme de l’œuvre et si celle-ci est toujours disponible. Parfois, il demande s’il s’agit d’une oeuvre originale, s’il peut avoir un certificat d’authenticité signé de l’artiste, si l’oeuvre est en bon état, etc. Il pose un tas de questions, comme s’il craignait que l’artiste puisse l’arnaquer, lui, l’honnête collectionneur. L’achat est pour un anniversaire (parfois un anniversaire de mariage) et souhaite clore l’affaire très rapidement (ce qui veut dire en langage clair que le délai de vérification de la banque sera trop court pour s’assurer que le paiement a bel et bien des fonds).

Une autre version: L’individu demande la liste des oeuvres disponibles avec leur prix, comme s’il allait en acheter plusieurs. C’est parfois pour décorer un nouvel appartement, parfois pour une oeuvre de charité (d’où l’explication que le chèque viendra d’un autre pays). Dans la majeure partie des cas des arnaques à l’art, ils ont leur propre transporteur qui vient chercher l’oeuvre à domicile.

Palette

Palette

L’artiste qui se sent plus futé que les pros de l’arnaque

L’artiste qui sent l’embrouille se pointer à l’horizon tente sa chance en inversant les rôles. Il propose d’aller lui-même porter l’oeuvre chez le client contre argent comptant. L’arnaqueur, loin de perdre ses moyens, répond simplement en disant qu’il a déjà son propre agent de transport qui peut prendre les oeuvres lui-même après l’encaissement du paiement. L’acheteur demande donc que le vendeur lui donne ses coordonnées: son nom complet, son adresse, son numéro de téléphone cellulaire, son téléphone à la maison.

L’artiste-vendeur qui tente de rencontrer en personne l’interlocuteur pour effectuer la transaction et régler les oeuvres en espèces n’a jamais de réponse à sa demande. On lui redit la même chose: il procède par la collecte à domicile – prétexte à éviter les frais de transport onéreux et inutiles – mais surtout pour ne pas donner d’adresse.

L’arnaque « essayer avant d’acheter »

Quel artiste n’a jamais fait confiance à un collectionneur qui avait déjà acheté de ses toiles dans le passé ?

Cette malheureuse expérience m’a été racontée par une artiste du Québec. L’artiste, en confiance par les transactions passées de l’individu (qui se sont déroulées sans histoire), accepte la requête de ce dernier « d’essayer » l’oeuvre avant de l’acheter. Cette pratique est courante. Bon nombre d’acheteurs veulent voir l’effet dans leur intérieur avant de se décider.

L’individu est intéressé par plusieurs grands formats et demande à l’artiste de les lui mettre de côté pour une semaine. L’artiste accepte tout naturellement, misant sur l’intérêt que le collectionneur (qui n’est pas un inconnu sorti de nulle part) éprouve pour son travail. Le collectionneur, misant sur cette confiance, demande d’essayer l’une d’entre elles qu’il apprécie tout particulièrement. Il rassure l’artiste en disant que si la toile ne lui convenait pas, il la lui ramènerait la semaine suivante quand il viendrait chercher les autres mises de côté. Puisque le collectionneur a déjà acheté dans le passé, qu’il semble honnête, qu’il est bien mis de sa personne, qu’il se prétend un grand collectionneur, l’artiste accepte ce procédé « d’essayage ». Non seulement, l’individu n’est jamais revenu pour les oeuvres mises de côté, mais il n’a jamais rapporté la toile qu’il a essayée. L’artiste qui avait les coordonnées de cet individu l’a évidemment contacté. L’homme (dont l’honnêteté n’est visiblement pas la première de ses qualités) lui avoue qu’il venait chez l’artiste par intérêt sentimental et que l’artiste l’a extrêmement déçu parce qu’elle n’a pas su déceler – ni même répondu à – cet intérêt en lui. « Il m’a harcelé pendant un certain temps en me disant que j’étais malhonnête puisque je ne voulais que son argent et que je me servais de mon art pour l’attirer », raconte l’artiste extrêmement traumatisée par sa mauvaise expérience. « Je sais que je ne suis pas la seule à avoir goûté à sa médecine, une autre amie artiste peintre a subi la même chose et, suite à cette mésaventure, elle a abandonné son art, elle était dévastée par toutes ses accusations. Cet homme est un manipulateur et moi je considère que c’est aussi un voleur ».

L’artiste n’a jamais revu sa toile et n’a jamais été payée pour cette oeuvre de valeur. Un vol qui restera impuni. L’individu vit au Québec et continue apparemment son manège.

Éviter les pièges

Les artistes devraient exiger un minimum de renseignements sur leur client à l’étranger et prendre le temps de se renseigner. En tapant sur un moteur de recherche le courriel de la personne, son nom et le mot « arnaque », si l’individu a déjà usé du même subterfuge, il y a des chances pour que quelqu’un, quelque part, ait déjà dénoncé cette arnaque. Si l’artiste retrouve le nom de l’acheteur sur un réseau social, rien ne l’empêche de contacter cette personne pour vérifier son identité; il s’agit peut-être aussi d’une usurpation d’identité. C’est l’occasion d’en avoir le coeur net.

Les artistes devraient exiger un paiement sécuritaire qui n’exige aucun délai de vérification (une vérification de chèque peut prendre jusqu’à 30 jours si le pays est très éloigné). L’acheteur n’est nullement disposé à attendre 30 jours pour qu’on vérifie son paiement. Il est souvent pressé d’obtenir son bien, or ce n’est pas à l’acheteur de fixer ses conditions, mais au vendeur. Si l’acheteur est sérieux et vraiment intéressé, il saura reconnaître les exigences de l’artiste comme un gage de professionnalisme et de bonne relation d’affaires.

Les artistes ne devraient jamais encaisser un chèque qui ne correspond pas au montant de la vente et devraient d’abord vérifier l’identité de la personne dont le nom apparaît sur le chèque. En faisant une recherche sur un moteur de recherche, l’artiste peut retrouver les coordonnées de la personne. Un coup de fil pour vérifier que le chèque n’a pas été volé coûte beaucoup moins cher que la perte d’une peinture ou d’une sculpture. L’artiste peut prétexter une vérification de routine pour tous les paiements venant de l’étranger. Si la personne contactée est bien l’acheteur, il ne s’en formalisera pas. Si la personne contactée n’est pas l’acheteur, elle pourra vérifier s’il n’y a pas d’autres chèques qui lui ont été volés dans son chéquier et remerciera l’artiste d’avoir fait cette vérification.

Les artistes devraient toujours se demander ce qu’une galerie d’art ferait dans une telle situation. Elle exigerait un paiement complet avant de laisser partir l’oeuvre achetée. Elle s’assurerait que le chèque ait des fonds avant de lever le petit doigt pour expédier l’oeuvre. Elle établirait une facture au nom de l’acheteur et un certificat d’authenticité. Elle aurait donc toutes les coordonnées de cet acheteur, jusqu’à son numéro de téléphone pour assurer le suivi de la réception. Elle prendrait le temps de faire un colis solide avec un suivi électronique (si envoyé par la poste) ou de l’expédier par le transporteur de son choix. Aucun grain de sable dans le rouage. Une vente à distance devrait normalement être simple et sans histoire.

Dans le cas des « essayages » avant achat, l’artiste devrait tout de même établir une facture et être payé pour son oeuvre temporairement prêtée (quitte à rembourser par la suite le client, comme c’est le cas dans n’importe quel commerce). L’artiste peut aussi proposer à l’éventuel client de passer chez lui pour « l’essayage ». Une oeuvre artistique ne se manipule pas n’importe comment. Si l’oeuvre « essayée » revient abîmée, c’est l’artiste qui est perdant. Il vaut mieux, pour un artiste, de garder un oeil sur son bien, aussi longtemps qu’il n’est pas vendu en bonne et due forme.

Il y a néanmoins des exceptions

Un artiste peintre de Québec que je connais bien a été confronté à une situation très inhabituelle: une commande de Dubaï d’une peinture dont le prix a été fixé par l’acheteur à 25 000 euros (c’est-à-dire beaucoup plus cher que la valeur normale de l’oeuvre). Au début, je l’ai mis en garde, surtout que je voyais se profiler à l’horizon un scénario bien connu d’arnaque au chèque. Toutefois, la situation s’est améliorée; le chèque a laissé place à un virement sécuritaire et les 25 000 euros ont bel et bien été déposés dans son compte bancaire. Puis, comme convenu, le transporteur est venu prendre l’oeuvre à domicile et l’oeuvre est partie. S’il y a eu une arnaque dans cette histoire, elle a été tellement fine que nous ne l’avons pas décelée. Peut-être que la peinture sera par la suite revendue à 250 000 euros (et ce sera l’arnaque). Or, la vente à 25 000 euros a été conclue et l’artiste en est très heureux.

Évidemment, il ne faut pas tout mettre dans le même panier, mais il faut savoir qu’il y a bon nombre d’artistes qui se font prendre aux quatre coins du globe par des pseudo-acheteurs qui sont des pros de l’arnaque. Ils s’expriment parfois en français, souvent en anglais. Ils proviennent de continents différents. Ils sont difficilement identifiables car leurs arnaques ont des variantes; les scénarios changent, s’adaptent, se modifient selon le contexte. Le seul conseil à donner aux artistes peintres et sculpteurs (principales victimes de ces arnaques), c’est de vérifier les identités, d’attendre que le paiement soit confirmé par la banque et de procéder méthodiquement à l’envoi – en trois mots: ne rien précipiter.