Par HeleneCaroline Fournier
Le commerce international de l’art n’est pas un fait récent. Les multinationales des ventes aux enchères organisent des ventes dans la plupart des métropoles et mégapoles de la planète. Il ne se passe pas une semaine sans que s’organise, dans le monde, une foire ou un salon international d’art contemporain. Cependant, la dispersion des lieux de vente n’exclut pas un degré élevé de concentration du marché. En ce sens que le marché américain représente à lui seul presque la moitié du marché mondial alors que le Royaume-Uni représente le quart. Les places mondialement dominantes sont : New York, Londres et Paris – et forment un maillage qui s’apparente à celui des marchés financiers. Au début des années 1950, Paris se situait au premier rang par le montant global des transactions, Drouot réalisant un chiffre d’affaires équivalent à ceux de Sotheby’s et Christie’s réunis. Dix ans après, la primauté passait au marché anglosaxon. Cette supériorité fut consolidée en 1964 grâce à l’acquisition de la firme newyorkaise Parke-Bernet par la firme anglaise Sotheby’s. Une coïncidence fit que ce rachat eut lieu la même année que la première consécration d’un artiste américain, Rauschenberg, à la Biennale de Venise. Le déclin parisien des années 60 et 70, qui a été souvent mis en relation avec le déplacement de la scène artistique de Paris à New-York, ne concernait pas exclusivement l’art contemporain. Jusqu’aux années 1950, la procédure de la vente publique associée aux ventes après décès, divorce, banqueroute, etc. présentait peu d’attrait pour le public. Toutefois, depuis 1970, les ventes ont largement augmenté… En 2002, par exemple, le marché mondial de l’art s’est élevé à plus de 2,6 milliards d’Euros (4,14 milliards de dollars canadiens). La répartition des parts de marché en valeur était les États-Unis avec 42 %, le Royaume-Uni avec 27 % et la France avec 9 %. D’après les données recueillies chez Artprice, le marché européen, en 2002, représentait en valeur plus de la moitié du marché mondial, soit 53 %, tandis que les États-Unis en détenaient 42 %. Cependant, le nombre de transactions portant sur des oeuvres de plus de 10 000 Euros (15 934 $) représente un pourcentage plus élevé aux États-Unis (24 %) qu’au Royaume-Uni (16 %) et qu’en France (11,5 %). Le rapport de David Kusin, ancien conservateur du Metropolitan Museum of Art de New York, constate, de son côté, que le prix moyen d’une oeuvre d’art aurait augmenté de 21 % en trois ans aux États-Unis, mais diminué de 36 % en Europe pour la même période. Il attribue cette évolution au poids de la fiscalité et des réglementations européennes. Quoi qu’il en soit, l’art contemporain se vend, pour l’essentiel, en galerie et non en vente publique. Aux États-Unis, en Italie, en Allemagne et, plus récemment, en France, l’activité des galeries, en concurrence les unes avec les autres, est très développée, renouvelant l’activité du marché privé. De ce fait, la seule évaluation des ventes aux enchères donne une idée imparfaite des marchés nationaux. Dans le secteur des ventes publiques, le marché est dominé par deux sociétés anglo-saxonnes : Sotheby’s, qui compte d’importants capitaux américains, et Christie’s, récemment passée sous contrôle français, depuis son rachat en 1998. Toutes deux sont des sociétés commerciales cotées en Bourse. Leurs sièges sociaux new-yorkais et parisiens frappent par le prestige de leurs emplacements, l’importance de leurs surfaces et la haute technologie de leur équipement. Le montant total des vente d’oeuvres d’art réalisées en 2002 s’est élevé à 1,79 milliards de dollars canadiens pour Sotheby’s et 1,92 milliards de dollars canadiens pour Christie’s. La concentration du marché s’est réalisée autour de deux multinationales dont les objectifs stratégiques sont planétaires. Entre ces deux acteurs globaux existe, évidemment, une concurrence féroce. La recherche d’une nouvelle clientèle et de nouveaux objets à vendre a contribué à la dispersion des lieux de vente sur tous les continents. En effet, chacune des deux firmes est présente dans plus de quarante pays.
Si Christie’s et Sotheby’s ont été les premiers acteurs mondiaux sur le marché de l’art, ils ne sont plus sans concurrents. Un nouveau concurrent arrive avec la prise de contrôle par l’homme d’affaires français Bernard Arnault, de la troisième maison de vente au monde, la firme anglo-saxonne Philipps. Depuis le début de 2003, il s’est retiré de cette maison, devenue entre temps Philipps, De Pury, Luxembourg. Avec l’ouverture du marché français face à la mondialisation, émergent de nouveaux acteurs mondiaux, les grandes sociétés de ventes volontaires. Les investissements effectués par les maisons de vente aux enchères, qu’il s’agisse de rachats de galeries commerciales, de sites Internet, d’organes de presse, de banque de données, touchent tous les aspects du marché de l’art. Chacune des firmes substitue à une logique artisanale une logique d’intégration verticale qui vise à maîtriser l’ensemble du marché, de l’offre à la demande. Chacune d’entre elles entretient un réseau mondialisé de relations avec différents acteurs (marchands, conseillers, experts, conservateurs, collectionneurs) intervenant dans le segment concerné du marché international.
A la fin des années 1990, le succès des ventes aux enchères en ligne a été tel, auprès du public comme des investisseurs, qu’à côté des sites généralistes se sont multipliés les sites spécialisés, dont ceux consacrés aux ventes d’objets d’art, d’antiquité et de collection. La concurrence s’est installée sur Internet à une vitesse accélérée, donnant lieu à de multiples regroupements, dont Ebay, leader sur le marché émergent des ventes en ligne de particulier à particulier. Les maisons de vente aux enchères ont cherché, par les ventes en ligne, à accroître géographiquement et socialement la demande potentielle, à diminuer les coûts de structure en diversifiant les circuits commerciaux et à fidéliser une clientèle de marchands. Alors que Christie’s s’est montrée prudente à l’égard d’Internet, Sotheby’s a lancé en 1999 une politique audacieuse de vente en ligne comportant des investissements considérables. Elle en a lourdement payé le prix… à partir de mai 2003, la firme a mis fin à ses activités de vente en ligne sur son site Internet. Elle a confié intégralement cette tâche à Ebay, chez qui elle est hébergée. Dans l’état actuel des transactions, il semble que la multiplication des ventes sur Internet concerne très majoritairement les objets de moyenne et basse gamme ou les objets multiples plus aisément identifiables. Les professionnels du négoce insistent sur l’absence de sélection sérieuse des objets proposés, sur les garanties insuffisantes de leur authenticité et de leur appréciation financière. De plus, la multinationalité des acteurs et des lieux de transaction interdit toute possibilité d’application des réglementations nationales et a défié jusqu’ici les tentatives en cours de réglementation internationale, dont se préoccupe l’union européenne.
A la fin des années 1990, le vertige de la nouvelle économie s’était donc emparé du marché de l’art. On a assisté à des mouvements spéculatifs qui n’ont pas porté sur le prix des oeuvres mais sur l’ascension fulgurante des actions des start-up, dès leur entrée sur les nouveaux marchés boursiers. La montée de ces actions, éminemment volatiles, a été le résultat d’anticipations positives sur des entreprises fortement déficitaires. Nombre d’entre elle se sont effondrées depuis…
Les quelques statistiques suivantes illustrent bien la valeur illimitée que peut avoir une oeuvre d’art classée :
Le Massacre des Innocents (de Rubens) vendue le 10 juillet 2002 à Londres (par Sotheby’s) 45 millions de livres. C’est le prix le plus élevé jamais obtenu aux enchères pour une peinture ancienne. La Montagne Sainte-Victoire (de Cézanne) vendue en 2001 à NewYork (chez Phillips De Pury et Luxembourg) 35 millions de dollars américains. La Nona Hora (de Maurizio Cattelan) vendue en mai 2001 à NewYork (chez Christie’s) 886 000 dollars américains.
De quoi faire rêver !