S’opposer aux idées reçues
Fabien Chevrier n’écoute que son instinct et peint comme il court, sans réfléchir, sans lois ni règles, sans morale, avec sa seule obsession en poche. Il peint contre les idées reçues, contre la peur, la mort, le temps, le mépris. Il utile les pinceaux comme il prendrait les armes avec des bombes d’aéro comme arsenal. “Peindre et faire des tableaux comme on balance une grenade à fragmentation, pour qu’ils te brûlent les yeux, pour qu’ils te décollent la rétine et t’agitent la conscience”, telle est sa façon de peindre. Ses performances sont des happening politiques, des actes pour régler des comptes. C’est un artiste libre qui ne fait aucune concession, utilisant son corps tout entier comme instrument d’expression. “Peindre pour ne plus jamais s’arrêter de peindre, pour que tous les tableaux traversent la nuit et le temps des hommes”. En peinture comme en écriture, les questions restent les mêmes : Qui sommes-nous ? Que sommes-nous ? Quelle est notre place dans ce monde ? A quoi sert la vie ?
Ayant rejoint les néo-expressionnistes, ces nouveaux peintres français de la douleur, il révèle le genre humain à la manière d’un douloureux bain révélateur, happant l’image pour la fixer définitivement. Sa technique sauvage coupe le souffle, transperce l’idéal esthétique par une sensibilité non mâchée, non prédigérée. Il broie la nature humaine et l’étale sur une toile qui frémit, rugit, dérange devant les yeux du public. Formes informes, visages déformés, surgissant de la nuit, écrasant leurs visages dans nos cauchemars, les personnages de Fabien Chevrier nous parlent, nous hantent. Ils n’ont plus de masques, ils sont monstres, humains intenses dans leurs émotions. Ne sont-ils pas, en fait, si on gratte un peu la superficialité humaine, la vérité derrière l’apparence ? C’est ce que pense Jean-Louis Rioux qui a écrit dans son article “Monstre toi-même !” pour Les Affiches de Grenoble et du Dauphiné: “Les portraits de Fabien Chevrier nous regardent avec une insistance et une intensité telles, qu’il n’en faudrait guère davantage, pour que nous baissions les yeux. Ces visages flottent dans l’ombre, parce qu’ils sont issus de notre fond d’obscurité”.
Guy Denis a écrit, quant à lui, dans son livre Les Peintres de l’Agonie ou Les nouveaux peintres français de la douleur que les “artistes sauvages confessent leur frustration de la lumière, de l’harmonie apollinienne, dans la description de l’abjection, du pourrissement ou du fantastique, de l’ensorcelé, du magique, du chamanique” comme Fabien Chevrier l’a présenté dans Sabbats et magie noire. Ces humains d’ailleurs, issus des profondeurs psychiques exhumés de désirs cachés choquent ou fascinent… ou les deux à la fois. Ces artistes, tels que Fabien Chevrier, ne relèvent pas de l’art brut, mais peut-être plutôt de la brutalité dans l’art, un concept plus qu’une technique particulière. Parce que l’art accède aux mondes des idées, la peinture est un moyen d’expression. Pour Fabien Chevrier, la peinture se doit de porter des idées, de poser des questions. « La peinture se doit avant tout d’être un acte politique, la mienne est en révolte depuis le jour où enfant, j’étais hors de moi en ne voyant personne manifester dans la rue contre la mort, les injustices et le reste… »
L’art existe pour donner un sens à la vie. L’art doit troubler, déranger, s’opposer aux idées reçues… bouleverser la pensée collective pour qu’elle ne stagne pas dans l’indifférence et la résignation.