De quoi faire pétiller vos neurones

La « langue des oiseaux » est une langue très volatile, très subtile. Elle était utilisée par les alchimistes pour transmettre une certaine philosophie. C’est ainsi qu’on nous présente la chose quand on fait une recherche sur Internet. Or, cette langue est une forme d’herméneutique (l’art du comprendre et l’art de l’interprétation) qui est également utilisée en littérature, en théologie, dans le domaine juridique et dans les arts. Un mot ou une phrase peut être décortiquée pour en trouver le sens profond; c’est ce qui se passe dans les arts visuels quand on explique une oeuvre par l’herméneutique de l’art.

On dit qu’il y a trois manières d’entendre la langue des oiseaux. Le premier est le jeu de mots, par exemple « lunettes » (on entend « lu net », évidemment c’est plus net de voir avec des lunettes quand on a un problème de vision…). La deuxième manière d’utiliser la langue des oiseaux est un jeu de mot avec une clé cachée à l’intérieur du mot. Par exemple, l’alchimiste qui visite le Musée de Cluny et qui voit la tapisserie « La Dame à la licorne » aura une indication alchimiste. Pourquoi ? Parce que la Dame à la licorne est associée à Diane de Poitiers (Diane de poids tiers). Il se trouve que dans le langage symbolique, les dieux et les déesses mythologiques représentent des planètes et des métaux. Diane, déesse lunaire, représente la lune (l’argent). L’alchimiste utilisera donc un tiers du poids d’argent. Pour venir confirmer cette information secrète, l’écu qui est sur la tapisserie représente trois croissants de lune. La troisième manière d’entendre cette langue est celle de l’interprétation lettre par lettre. Par exemple, le mot « mort » (la mort = l’âme-hors) s’écrit M (qui évoque une femme qui accouche, c’est la création, la mère). Quand on prononce cette lettre, on entend « aime ». Ensuite, O (pour eau), R (pour air) et le T (pour terre). Il manque un élément (le feu), mais ne dit-on pas d’un défunt qu’il est feu quand il s’éteint ? Ce qui nous permet de ne plus avoir peur de la mort puisque le feu continue son chemin ailleurs.

L’herméneutique de l’art compose avec les éléments que l’artiste donne à voir dans son oeuvre et puisque l’image (autant figurative qu’abstraite) est intimement liée au monde intérieur de l’artiste ou de ce qui l’entoure, on peut interpréter ce que l’artiste a mis consciemment ou inconsciemment dans son oeuvre. On n’utilise plus le jeu de mot (quoique ce soit encore possible), on utilise le symbolisme, la philosophie de l’art, les théories de l’art, la théorie de la connaissance, etc. Nous savons grâce à Michel Pastoureau que les couleurs ont une histoire, une symbolique, des propriétés, etc. On sait grâce à la loi du contraste simultané des couleurs de Michel-Eugène Chevreul que cette « loi » est une caractéristique de la perception humaine des couleurs, que ce que l’on voit n’est pas forcément la réalité puisque plusieurs éléments (les couleurs, notamment) s’influencent les uns les autres. Grâce à Hans-Georg Gadamer, on sait que l’herméneutique fait partie de la tradition philosophique et qu’il est possible de comprendre intimement une oeuvre pour remonter à sa genèse.

Ainsi le mot « art » est lié au « 1 ». Ce « A » (premier) matérialise les polarités originelles et opposées, intimement liées et inséparables. Le « R » symbolise l’air ou l’esprit. Le T évoque, lui, la trinité créatrice, mais aussi la terre (la réalité concrète), le temps et le temple, qui n’existent pas l’un sans l’autre puisqu’il y a une relativité entre l’espace et le temps (l’espace-temps sur terre). On peut en déduire que l’art est une expression de l’intériorité, donc de nature purement spirituelle, créatrice de beauté vers le manifesté (le A). Deux types de spiritualité: l’une issue des émotions, qui incomprises trouvent souvent un exutoire fantastique dans l’expression artistique ET, l’autre, l’entendement des principes fondamentaux du Cosmos. C’est une spiritualité (qui n’a rien à voir avec la religion) qui a intégré sa capacité créatrice liée à sa propre nature, et qui exprime dans le manifesté la joie de cette compréhension profonde. Celle-ci provient de l’âme qui s’incarne dans la créativité et s’y cristallise dans la matière, afin de témoigner de sa présence et de sa profondeur. Cet art spirituel répond à une autre logique, il obéit aux lois géométriques, aux lois de proportions, aux lois de la beauté naturelle, et comme un apprenti alchimiste le ferait, exprime au Grand Tout qui est Esprit, sa progression, tout autant que sa gratitude pour entendre sa participation à la Création. La langue des oiseaux via la symbolique des lettres met en évidence la nature profondément spirituelle de l’art. Elle permet ainsi de distinguer les différentes sources qui alimentent la création artistique. Elles sont soit issues (tissu) des émotions exacerbées et souvent difficilement gérables, soit de l’expression pure de l’âme qui entend l’existence et le Grand Ordre universel. L’artiste est donc « l’art te tisse » (dans le Grand Tout dont nous sommes tous issus (tissus)).

(Toulouse) Le Goût (La Dame à la licorne) – Musée de Cluny Paris

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