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Après avoir passé en revue les différentes possibilités, opportunités, ouvertures, le futur expat semble avoir pensé à tout. Il s’est renseigné sur les us et coutumes de cette nouvelle terre rêvée, peut-être a-t-il suivi des cours de formation, appris les rudiments d’une nouvelle langue (ou peut-être pas), assisté à des conférences, lu des livres, etc. Il a préparé son départ avec un doux mélange d’euphorie et d’anxiété. Or, pour le commun des mortels, une nouvelle carrière à l’étranger – au Canada, par exemple – semble envisageable dès qu’il trouve un employeur prêt à l’embaucher à son arrivée. Pour l’artiste peintre, le plasticien, le sculpteur qui connait une certaine notoriété dans son pays, voire une notoriété certaine, ce n’est pas si évident. Il n’est pas, par définition, le candidat-type pour entrer facilement dans un moule. Il ne cherche pas d’employeur et, n’étant pas employé, il n’aura pas droit à une protection en cas d’accident ou de maladie du travail. Il n’aura pas non plus de chômage en cas de perte d’emploi. Sa retraite, il devra la prévoir seul. La précarité financière, il devra la vivre au quotidien.

« Avez-vous quelque chose à déclarer ? », lui demandera-t-on en guise de bienvenue à l’aéroport. « Non, rien à déclarer ! » « Et qu’est-ce que toutes ces peintures dans vos valises ? » « Je suis peintre ! » « Peintre en bâtiment ? » « Non, artiste peintre ! » « Oui, mais comme métier, qu’est-ce que vous faites ? » « Je peins ! »  « Je comprends, mais, autrement, pour vivre, que faites-vous dans la vie ? »  Cette discussion (heureusement fictive) illustre bien l’incompréhension générale qui règne autour de l’artiste de profession quand vient l’heure de rencontrer des fonctionnaires du gouvernement, des administrateurs pour un prêt hypothécaire, des assureurs… ou toutes professions de classe «hémisphère gauche du cerveau». Il faut savoir que la notoriété artistique ne passe pas la douane. Ce n’est pas un acquis transporté avec des vêtements. Elle ne suit pas l’individu qui, sans le savoir, s’apprête à recommencer à zéro. Un nouveau pays, c’est aussi une nouvelle clientèle à séduire, un nouveau marché de l’art à conquérir, de nouvelles attentes du public à comprendre. Ce n’est pas parce qu’un certain type d’art fonctionnait (très) bien en Europe qu’il va fonctionner au Canada (et vice versa). C’est ce que deux expats français débarqués au Québec avec des valises pleines de tableaux ont vécu.

Pour LO, artiste lorrain, habitué aux expositions internationales dans plusieurs pays d’Europe, qui vendait très bien sa peinture, l’arrivée a été longuement préparée. Il exposait déjà en galerie, à Québec, de façon permanente depuis deux ans, quand il est arrivé avec ses valises. Il préparait le terrain croyant que la notoriété dont il jouissait en France, dans sa région, allait l’aider sur cette nouvelle terre.  Première constatation: le marché de l’art est différent. Il ne fonctionne pas de la même façon. Les galeristes n’avaient que faire de la longue liste de salons internationaux auxquels il avait participé. D’ailleurs, ils n’en mesuraient pas l’importance. De plus, son sujet de prédilection ne rencontrait aucun intérêt chez les Québécois. Puisque LO souhaitait peindre des marines hyperréalistes, il a dû revoir à la baisse le prix de ses oeuvres. Ce fut, pour lui, un bond en arrière de 15 ans. Les galeristes lui disaient tous: « Oh, mais vous pratiquez des prix comme si vous étiez un artiste professionnel ! » LO devait donc se refaire un nom. Quinze ans plus tard, il avait retrouvé la valeur qu’il avait avant de s’expatrier. Dix-huit ans après son arrivée, les galeristes l’appellent parce que ses sujets plaisent aux Québécois, finalement.

Pour Maurice Louis, originaire de Normandie, ayant vécu un long moment à Paris, l’intégration s’est faite avec sa petite entreprise de nettoyage commercial. La peinture a néanmoins repris une place importante dans sa vie par une présence assidue, sur les réseaux sociaux; un travail répétitif de plusieurs heures par jour, qui a finalement porté fruits. Des collectionneurs étrangers se sont intéressés à ses oeuvres et il s’est construit un solide réseau d’acheteurs. Il expose régulièrement au Canada et aux Etats-Unis (Miami, San Francisco et en permanence à Los Angeles), ce qu’il n’aurait pas fait s’il était resté en France. Son art est si différent de ce qui se fait sur le marché nord-américain qu’il a obtenu en 2015 le «Prix Nouveau Mouvement en Arts Visuels» avec son «Métallurgisme artistique», une peinture qui ressemble à un travail réalisé sur du métal.  Après une douzaine d’années au Canada, Maurice Louis jouit d’une certaine renommée en tant qu’artiste franco-canadien, mais il a tout de même conservé sa petite entreprise.