L’artiste SOFIA (Sophie Lebeuf) est née à Chicoutimi en 1969. Dès l’âge de 12 ans, elle développe un vif intérêt pour l’art avec une session d’apprentissage à l’atelier d’un peintre paysager. Son enfance et son adolescence, elle les passe en compagnie de chevaux, véritables confidents. C’est un sujet qui, d’ailleurs, la suivra tout au long de sa vie et qui se présentera de façon récurrente dans son travail d’artiste. A l’âge de 16 ans, elle fait une première expérience d’exposition dans la rue des Trésors à Jonquière. Quelques années plus tard, à l’âge adulte, elle souhaite réaliser ses rêves et laisser ses passions évoluer. L’art devient un besoin vital pour elle. La peinture et les chevaux – deux éléments importants pour son équilibre personnel – deviennent alors une seule et même passion. Le plaisir d’enseigner et le désir de s’impliquer dans le milieu culturel font aussi partie des éléments qui contribueront à son bien-être intérieur. Dès ses débuts en tant qu’artiste professionnelle, elle obtient des prix et des distinctions pour son travail. En 2017, son travail est expertisé et sa valeur est établie sur le marché de l’art canadien et européen. Aujourd’hui, l’artiste expose son travail dans plusieurs endroits. Elle possède un atelier privé chez elle, un studio-école et une galerie d’art à Jonquière. Elle est l’une des rares artistes à utiliser de la bauxite dans sa peinture. Cette poudre de couleur rouge-orangé, principalement utilisée dans l’industrie de l’aluminerie, renforce les couleurs ; leur donne leur caractère. Le jeu du clair-obscur produit un élan dynamique à sa composition picturale. C’est la dualité d’oxyde rouge et de cobalt qui va, par la suite, supporter toute la composition du tableau. Couleurs et matière modèlent les formes, ajoutent une atmosphère, donnent une puissante sensation de mystère dans sa peinture qui se caractérise par cette palette réduite. Les rapports de masse et de contraste s’organisent entre sensualité et force, entre fluidité et puissance.
A quel point l’environnement social influence-t-il la pratique de l’artiste (au niveau du choix des sujets traités, des médiums utilisés, des couleurs, du support, etc.) ? A quel point le lieu physique (l’atelier ou le plein-air) influence-t-il la qualité du travail de l’artiste ? (Par exemple: Si vous étiez dans un lieu non-habituel, sans radio, sans télévision, sans Internet, loin de vos repères habituels, pensez-vous que vous pourriez faire le même travail ou un meilleur travail ?)
«La pandémie m’a profondément touchée et j’ai dû apprendre la résilience, la patience, l’analyse, et à me trouver de nouveaux repères».
L’artiste est très influencée par son environnement social et son milieu de vie. Dans son processus de création, ils sont interreliés directement à ses sources d’inspirations. «Une émotion, un échange, un regard, une couleur, une saveur, une odeur, un son, la brume, la pluie…»; peu importe ce qui l’entoure, tout a une influence. «Je suis une artiste sensorielle, connectée et sensible à son environnement et à l’écoute de son milieu». Celle qui aime l’odeur des pages d’un livre, celle qui adore ce côté puriste dans sa créativité n’est pas compatible avec la technologie. En temps normal, elle se voit comme un tableau en cours. «Mais là, depuis une année, seul un tableau intitulé «Éclypse» s’est déposé sur mon chevalet. Tout ce que j’ai pu ressentir de la crise est dans cette toile. Éclypse est l’image de mon émotion face à la disparition de mon environnement. C’est exactement comme si, quelque chose, s’était placé devant ma toile et que mon art a cessé d’être visible». Le mot éclipse vient du grec ekleipsis qui signifie délaisser, abandonner. «Jamais, au grand jamais, j’aurais pensé délaisser mon art. Toute cette insécurité vécue et ressentie m’a engloutie comme un sable mouvant. C’est comme si la vie m’avait enlevé d’un coup d’épée le droit d’exercer ma carrière». L’artiste a fermé son studio-école et sa galerie. Les restrictions dues à la pandémie lui ont fait perdre une grande partie de sa vie personnelle et professionnelle et ont laissé place à une profonde incompréhension, à une rage intérieure et à une insécurité envahissante et énergivore. «Mon environnement en entier a basculé. Pour la première fois de ma vie, mon environnement me faisait peur et me rendait insécure et fragile».
L’artiste s’est mise à détester le rouge et l’orange, ses couleurs de prédilection. Ces couleurs étaient devenues soudainement annonciatrices de restrictions, d’éloignement et de déchirrement. «Ces couleurs de feu étaient maintenant sources de fermeture, d’empêchement et d’interdit. Ces couleurs géraient désormais mon existence d’une toute autre manière, tellement que j’en detestais mes pigments». Son art s’est figé dans le temps. Le tic-tac de son horloge interne s’est arrêté subitement. «Je devais sauver mon studio-école et ma galerie. Je devais aussi prendre action vers un changement et répondre à l’appel pour porter main forte en santé. Je dis merci à la vie, aujourd’hui, qui m’a conduite à vivre cette expérience, cette belle aventure qui devait être, tout au plus, de quelques mois, mais qui s’est avérée durer une année». L’artiste a appris à se dépasser. «Ce travail, ce nouveau milieu, ce nouvel environnement m’ont sauvée. Par chance, j’ai eu ce boulot qui m’a gardé (et me garde encore) connectée à une certaine normalité. Je peux, grâce à mes collègues de travail, garder un contact humain, grâce aux résidents, garder une chaleur humaine, grâce à ce travail, garder la compassion. De par mes fonctions, de comprendre l’efficacité et l’importance des mesures que la vie nous a infligées. J’y ai trouvé un nouvel équilibre et j’ai appris à me sentir utile». Cette expérience de vie lui a fait comprendre toute l’importance que son art, sa galerie et son studio-école avaient dans sa vie. «Toute l’énergie vitale à ma création se trouve, en fait, dans un environement urbain et dans un milieu en pleine nature». C’est dans cet environnement urbain que se trouvent son studio-école et sa galerie. «J’ai besoin de cet environement afin d’éveiller, de partager, de faire connaître, de diffuser et de faire vivre cet environnement à ma collectivité. Dans mon milieu de création en pleine nature, dans mon atelier privé près de mes chevaux, je me retrouve. Dans ce milieu de grande nature, je suis en tête-à-tête avec mon ressenti, avec moi-même».
Les mois se sont écoulés, emmenant avec eux de nombreuses nuits d’insomnie et une multitude de questions existentielles. Après un an de black-out artistique, SOFIA a renoué avec ses pigments rouge-orangés et ses couleurs. «Je peux enfin redonner vie à la galerie et le studio s’ouvre au soleil et à la chaleur». Les tableaux qui somnolaient se sont réveillés. «Mon art est redevenu un journal intime où je peux tout écrire par ma gestuelle et mes couleurs». Même si le rouge revient marquer sa région de ses fers ardents, l’artiste aura le dessus. «Je prends position dans cet environnement que j’apprivoise chaque jour». Un besoin pressant de culture se fait néanmoins sentir. «Je retrouve mon équilibre. La culture m’habite à nouveau et une énergie brûlante m’envahit. Ce besoin viscéral remonte en moi. Je me sens vivante. Je suis de retour!»
SOFIA a appris à se redécouvrir dans cette pause longue durée que la vie lui a imposée. «J’ai pris concience que mon ADN est tatoué de rouge, d’orange, de jaune et de bleu. Je sais qu’être artiste est un privilège fragile et fort à la fois. L’environnement et le monde dans lequel nous vivons seront fragilisés et auront besoin de notre belle et grande culture pour renouer avec ses couleurs afin de retrouver sa compassion et son humanité».
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