Dans l’atmosphère pleinairiste de Gilles Bédard
par HeleneCaroline Fournier
Article paru dans la revue Le Magazin’Art, 25e année, No3 PRINTEMPS/SPRING 2013, No 99
Né à Québec, en 1954, Gilles Bédard passe une partie de son enfance à Charlesbourg. II est le deuxième d’une famille de sept enfants. Son père est journalier et sa mère est femme au foyer. Malgré cette précarité, les enfants Bédard ne manquent de rien. L’enfance de Gilles Bédard est heureuse. C’est un enfant rêveur. D’aussi loin qu’il se souvienne, il a toujours dessiné. Son père croquait également; des caricatures de son épouse et de ses enfants. Le jeune Gilles, émerveillé par cette capacité à capter une silhouette en quelques coups de crayons, veut faire de même. Si son père a amorcé, d’une certaine manière, l’éveil artistique de son fils, sa mère a été, quant à elle, l’étincelle créatrice. Environ à l’âge de six ans, après avoir dessiné un chevreuil, ce sont les compliments de sa mère, touchée par cette habileté innée au dessin, qui lui donnent l’envie de continuer et d’aller plus loin. Il a suivi très jeune un cours en portrait et un cours en dessin publicitaire. Il réalise son premier paysage à huile à l’âge de seize ans. A vingt ans, il s’engage dans la Garde Côtière Canadienne. A cette époque, il fait surtout du portrait au pastel. Il fait plusieurs voyages dans le Grand Nord. Il travaille dans cet univers maritime pendant près de quatre ans.
Ce n’est pas tant les paysages du Nord ou d’hiver qui le séduisent, mais l’atmosphère qui s’en dégage. Avec les années, le besoin de peindre se fait de plus en plus sentir. « Ce que je voyais, là-bas. me touchait. C’est ce qui m’a donné le goût de peindre ». II délaisse les navires pour s’ancrer définitivement sur la terre ferme.
Du portrait, il passe au paysage. Du pastel, il passe à l’huile. C’est un voyage dans Charlevoix, à l’âge de vingt-quatre ans, qui est l’élément déclencheur de ce grand bouleversement. Dès son arrivée dans la région, il est touché par la lumière qui y règne. Chaque détour est un paysage à saisir, un atmosphère à peindre. Il s’établit à Saint-Joseph-de-la-Rive. Les premières années sont difficiles. Les galeries d’art de Charlevoix le trouvent trop jeune. II n’a pas encore trente ans. Il ouvre donc un atelier à Baie-Saint-Paul. Quelques années plus tard, au début des années 1980, il ouvre, avec son épouse, une galerie d’art qui présente plusieurs peintres de Charlevoix. Après un moment, la gestion étant trop éloignée de son univers créatif, il se retire du monde des affaires pour mieux jouir de sa liberté créative.
Au milieu des années 1980, une galerie de Baie-Saint-Paul le prend comme artiste permanent et devient, par la suite, son agent. Un autre prendra la relève, quelques années plus tard, ce qui permettra à l’artiste de peindre des sujets plus variés, selon son inspiration. Suite à cette collaboration, plus d’une vingtaine de galeries au Canada l’exposeront. Il se fait un nom a mari usque ad mare, d’un océan à l’autre.
Dans les années 1990, une ancienne élève et amie lui propose de regrouper des artistes. L’Atelier Raphaël, à Montréal, sera un lieu de rencontres et d’expérimentations. Il donne des cours de peinture et explore plusieurs médiums. Pendant cet épisode montréalais, l’artiste va s’exprimer de façon abstraite pendant près d’un an. Les différents médiums et mouvements artistiques le font réfléchir sur la notion même d’abstraction. Il incorpore dans ses oeuvres le fruit de ses recherches et une touche d’impressionnisme français, mouvement auquel il se rattache par cette façon de travailler en plein air, de retrouver la spontanéité de l’oeil et l’instantanéité du moment. Capter la variation de lumière dans une succession d’états du motif, telle est la démarche de Gilles Bédard.
L’artiste n’est pas un académiste, il est autodidacte, spontané et peint d’abord avec son coeur. La fidélité à une cohérence spatiale et mathématique est contraire à l’expérience vécue. Le pleinairisme de Gilles Bédard restitue le sentiment du paysage tel que vu et transmet cette précieuse impression de fugacité. II parvient à retrouver l’innocence du tout premier regard et crée une scène d’atmosphère qui palpite au rythme de l’émotion ressentie par lui.
Malgré des influences artistiques, notamment du Groupe des Sept et de Marc-Aurèle Fortin, il reste un artiste pétri d’authenticité. II est lui-même. Le talent de Gilles Bédard a été formé librement. Il se sent néanmoins proche de ces artistes car, comme Tom Thomson, le peintre le plus spontané du Groupe de Sept, Gilles Bédard est un archiviste des saisons qui va d’un site à l’autre dans le but d’enregistrer les innombrables variations de lumière qu’offre la nature généreuse. Comme A.Y. Jackson, il est un homme de terrain. Ces artistes n’avaient pas de prétention intellectuelle. Ils aimaient la simplicité. La nature leur offrait la possibilité d’aborder les paysages extérieurs de façon subjective. C’est en cela qu’ils ont influencé Gilles Bédard qui porte en lui un germe de Thomson et de Jackson. Finalement, Marc-Aurèle Fortin, qui est un enfant de la nature comme lui, va toucher Gilles Bédard par son côté nomade. Tous deux se sont déplacés sur d’immenses distances pour trouver des scènes à peindre dans une palette pleine d’émotions fugitives. Gilles Bédard, ce Charlevoisien d’adoption, a libéré la toile de tout intellectualisme pour retrouver l’innocence visuelle. Restituer la nature dans ses effets transitoires et dans son intensité première, ainsi pourrions-nous mettre en mots son travail.
Il va rester à Montréal pendant cinq ans. Encore là, il a envie de se retrouver seul avec ses pinceaux. Charlevoix lui manque. Cette région, il l’a dans la peau. Il s’y sent chez lui car il a toujours été bien accueilli. Il quitte la Métropole pour retrouver ce coin de pays qu’il affectionne tant. Il s’installe aux éboulements pour commencer, puis il ouvre une nouvelle galerie, à Baie- Saint-Paul, sur la rue Saint-Jean-Baptiste.
Chaque grand déplacement marque sa peinture. Les couleurs, la lumière, les atmosphères, les émotions sont différentes et la composition s’en trouve également modifiée. De l’huile, il passe à l’acrylique. Le figuratif l’emporte sur l’abstraction. II dira plus tard que l’abstraction a fait évoluer sa peinture figurative. Le bonheur est de retour, entraînant avec lui la vitalité des couleurs et la dimension sublimée de la nature et de son essence. Une nouvelle façon de peindre s’impose. « Ma façon de m’exprimer était différente ». Une évolution s’était opérée grâce à l’abstraction. La composition s’articule désormais autour d’une structuration plus équilibrée. Sa peinture devient une harmonie parallèle à la nature.
Gilles Bédard n’est pas un peintre paysagiste régionaliste, comme on pourrait le penser. Il a également peint des études de sujets, des portraits, des nus et des scènes urbaines. Il ne se cantonne pas qu’à une région. Ses paysages sont divers: Kamouraska, les Iles de la Madeleine, la Nouvelle-Ecosse, Montréal, Québec, etc. Ce qu’il recherche dans ses sujets, c’est la simplicité, à l’image de l’homme qu’il est, et l’atmosphère…
Peindre sur motif demande une composition rapide. Capter la fugacité d’un moment est la première étape vers la réalisation d’une toile. Pour ce faire, il aime partir très tôt, le matin, avec de petits formats de toiles (4 x 6, 5 x 7, 8 x 10). II fait rapidement une esquisse colorée pour saisir le fond qui donnera le ton atmosphérique de l’oeuvre. Formes et mouvements sont amples et audacieux. L’artiste transcrit les effets de la lumière et de la couleur. Sa voiture devient son atelier pour quelques heures. Il prend des photos et retravaille le tout ultérieurement sur de grandes toiles. L’essentiel a été saisi sur le lieu même de la scène. Il ne reste qu’à peaufiner dans le confort de l’atelier pour que l’esquisse devienne oeuvre. L’artiste monte le tableau de façon spontanée. Il récapitule à partir des éléments qu’il a en mains. Toute la magie est là, avec les couleurs dominantes des différentes saisons. « Ce n’est pas nécessairement le sujet (qui est important). Le sujet, pour moi, ça peut être n’importe quoi. Ce qui m’intéresse c’est l’atmosphère ». Pour le côté créatif, il aime être seul. Il peut peindre jusqu’aux petites heures du matin; une fois parti, on ne peut l’arrêter.
Les aléas de la vie conduisent l’artiste à quitter Charlevoix. En 2007, il s’installe sur la rue Saint-Paul, dans le Vieux-Québec. Son atelier sera ouvert au public pendant quatre ans. Finalement, en novembre 2011, cherchant à accéder à un autre niveau dans sa carrière, il présente son travail à la galerie d’art Au P’tit Bonheur, de La Malbaie. Gilles Bédard rêvait d’une liberté d’exécution tout en ayant un contact privilégié avec des gens sensibles à son travail. En entrant dans la galerie, ce rêve devient réalité. Il pose enfin ses valises. La galerie porte bien son nom: pour lui, c’est un bonheur ayant la saveur d’une véritable perspective d’avenir.
Aujourd’hui, à 58 ans, Gilles Bédard vit à Québec. Il a une production annuelle soutenue. Pour l’artiste qui s’exprime par ses pinceaux, l’important, c’est d’aller chercher la « simplicité ». Pourtant, « la simplicité, c’est la chose la plus difficile », selon lui. Il faut que « les gens sentent réellement ce que je vois, (comme je le vois) quand je le vois ». Pour lui, l’art, n’est pas qu’un besoin vital, c’est aussi une passion qui n’aura jamais de fin. L’évolution se poursuit, même après 30 ans de carrière. Chez cet artiste, la persévérance est le maître-mot : « Plus on peint, plus on sait peindre ».
voir les images sur le site de la Galerie d’art Au P’tit Bonheur