Par HeleneCaroline Fournier
L’art a toujours été une oeuvre collective, de société, et il est de plus en plus nécessaire de le présenter sous cet angle. En même temps, il est primordial de tenir compte de l’oeuvre de l’artiste et de la tâche qui incombe à ceux qui lui ont prêté attention – surtout à ses débuts – qui l’ont lancé, qui lui ont donné de l’importance et son sens devant le public. L’expression artistique est étroitement liée à celle de la liberté ; la liberté de la diffuser en tout premier lieu. Malheureusement, les médias contrôlent la diffusion et le public est privé d’information. C’est un problème de politique culturelle (et de politique tout court). Si on ne parle pas plus des artistes « hors normes » (les singuliers, les anticonformistes, les insolites, etc.), c’est que les médias ne s’y intéressent pas ou si peu. Il faut la presse spécialisée ou les éditeurs privés pour en parler. Le public en général n’est pas au courant des mouvements d’avant-garde, de l’art de la rue (Street Art, Graffiti Art, Trash, Raw, Tags, Pochoirs, etc.), de l’art singulier ou insolite… de ce qui se pratique en marge de « l’art propre sur lui » ou de l’art « traditionnel-institutionnalisé-et-médiatisé ». La constellation des non-esthétiques est perçue comme nocive, gênante, non seulement pour l’art traditionnel, mais pour la société en général. Or, il y a là un gros problème de perception ! Pour l’artiste, pour qui la création est une chose vitale et pressante, certaines esthétiques actuelles, un certain formalisme, semblent nécessaires s’il veut « vendre » en galerie. Ces esthétiques commerciales n’ont d’autre utilité que de permettre, à partir de signes extérieurs, de fixer la cote. Or, tout artiste sait que dans l’émotion artistique, l’esthétisme peut être secondaire. L’oeuvre, outre la charge émotionnelle que lui donne le peintre, doit être étroitement liée avec l’idéologie des forces de progrès qui lui sont contemporaines. Tout le monde s’accorde pour reconnaître à tout artiste authentique l’exercice d’une réflexion profonde derrière l’acte de créer. Mais si à cette réflexion ne s’ajoute pas la lutte avec la matière, on s’apercevra rapidement que le pseudo-artiste n’a pas avancé dans sa démarche, que son oeuvre n’a été que travail stérile ou superficiel. En soi, les matériaux sont inertes. La capacité d’émotion que possède une oeuvre (d’art) ne dépend pas seulement des fournitures utilisées et l’artiste ne peut pas oublier que le degré d’efficacité de son travail prend sa source de l’état psychologique de la société dans laquelle son travail s’inscrit. La puissance émotive et émotionnelle d’une oeuvre varie avec l’habileté de l’artiste à traiter certaines idées de société. Il atteint son but d’expression grâce à sa culture. L’art est une source de connaissance, tout comme la science et la philosophie et c’est le miroir de la société dans laquelle nous vivons, à un point tel qu’une société sans artiste serait une société sans âme. La grande lutte entreprise par l’homme pour affiner sa perception de la réalité, cette lutte où l’artiste trouve grandeur et liberté, ne peut aboutir avec des idées déjà formulées, mâchées et pré-digérées par d’autres. Des idées caduques ne peuvent pas servir les idées nouvelles. C’est dans cette perspective philosophique qu’on peut dire que quand les formes ne sont pas capables d’agresser la société qui les reçoit, de la déranger, de la titiller, de l’inciter à la réflexion, de lui dévoiler son propre retard, que quand les oeuvres ne sont pas en rupture, il n’y a pas d’art authentique. Devant une véritable oeuvre d’art, le public doit nécessairement ressentir quelque chose qui le poussera à un examen de conscience, à une révision de ses valeurs conceptuelles.
L’artiste en marge (les singuliers, les insolites, les inclassables…), face au public non averti, doit lui faire toucher du doigt les limites de son univers et lui ouvrir des perspectives nouvelles, car quand le grand public se retrouve en parfait accord avec les formes artistiques proposées par les médias, c’est que ces formes, trop satisfaisantes, ont perdu de leur vigueur. Sans le choc, il ne peut y avoir d’art. Si une forme esthétique n’est pas capable de dérouter le public et ne bouleverse pas les idées (pré) conçues, ce n’est pas une forme artistique pour aujourd’hui. Au final, ce sera l’onde de choc ressentie par le public et sa capacité à s’éveiller ou non à l’art actuel qui indiquera à quel point la société est en déclin.
Ci-contre, (voir l’article en pdf) à gauche, des oeuvres de trois artistes du CIAAZ : Bernadette Mora (France), Jean-Claude Nicolaï (Belgique) et Erik Bonnet (France).
Publiée dans « La Bible de l’art abstrait » (édition 2008-2009) dans laquelle on retrouve des réappropriations de l’art abstrait, Bernadette Mora a poursuivi dans les voies tracées des grand précurseurs de ce mouvement, approfondissant ses recherches chromatiques et géométriques, dans un imaginaire où la nature revêt un symbolisme capital.
Jean-Claude Nicolaï, quant à lui, utilise une forme d’harmonie figurative et expressionniste qui lui confère un équilibre psychique dans lequel il évolue, tout en s’imprégnant du beau. Cet artiste pratique également l’art brut, l’expressionisme lyrique et la photographie plasticienne.
Finalement, Erik Bonnet, peintre, mixeur de formes, de textures et d’objets, est un fervent admirateur du mouvement dada ainsi que de leurs enfants inanouvés, qu’ils soient du mouvement pop ou du néo-réalisme. Ce peintre funambule tend un fil entre provocation et rêves ostentatoires.