TEXTE D’ACTUALITÉ

COVID-19

Dominique Méda, philosophe et sociologue, également professeur de sociologie à l’Université Paris-Dauphine à Paris, directrice de l’Institut de recherches interdisciplinaires en sciences sociales et titulaire d’une chaire de recherches, mentionnait dans un article très intéressant sur le site « Pour l’Éco » que « cette crise va nous donner l’occasion d’une double réflexion: sur le rôle social du travail, d’une part, et sur l’importance relative accordée aux différents métiers, d’autre part. Concernant le travail, le confinement va confirmer, comme l’ont fait de nombreux sociologues, le caractère très structurant de son rôle dans notre vie. Le travail, même à distance, va peut-être détourner notre esprit de ce moment angoissant. Peut-être va-t-on également prendre conscience de l’inutilité d’un certain nombre de réunions et de dispositifs, ou encore, comprendre, grâce au télétravail, que les salariés ont de nombreuses ressources. Bref, nous allons apprendre énormément de choses sur la place du travail dans nos vies ».

J’ajouterais également que cette crise va nous apprendre l’importante place de l’art dans nos vies. Avez-vous expérimenté un confinement sans art ? (Merci de réfléchir avant de répondre). L’art, même à distance, nous aide à mieux vivre, à libérer les angoisses et les tensions.

Toujours selon Mme Méda, il s’agit « d’un moment opportun pour prendre en considération l’importance sociale des différents métiers ». Selon le livre « Bullshit Jobs » (traduction: Emplois merdiques) de l’anthopologue David Graeber, également théoricien contemporain de la pensée libertaire nord-américaine, pour savoir si un métier est essentiel ou pas, il faut imaginer les conséquences sociétales de sa disparition. A l’heure de cette crise mondiale, les métiers essentiels sont ceux qui nous permettent de continuer à vivre. Évidemment, on pense d’emblée à tous les métiers reliés au domaine de la santé, qu’elle soit physique, mentale et/ou psychique. Or, l’art est essentiel à la vie, n’en déplaisent à ceux qui voient les artistes comme des nuisances toujours en quête d’une subvention pour subsister, toujours en demande d’une aide financière quelle qu’elle soit pour poursuivre leur « mission humanitaire ». Être artiste professionnel en arts visuels n’est pas un moindre métier dans l’échelle des vocations essentielles. Ils ont leur raison d’être. Ils apportent du bien-être à l’âme par leur façon de photographier les moments magiques du quotidien, de dessiner l’indicible, de peindre la vie en couleurs pour contrer la morosité, etc. Par leur capacité à sublimer le réel, par leur faculté à trouver « le-positif-malgré-tout » et à nous le transposer en images, ils donnent de l’espoir à ceux qui se laisseraient plus facilement aller à un pessimisme des plus sombres.

Faute de reconnaissance et de rémunération suffisantes, les artistes professionnels en arts visuels ont été relégués loin derrière les sportifs professionnels qui gagnent des millions (pour ne nommer que ceux-là). Les infrastructures sportives ont été édifiées comme des lieux de culte dédiés au dieu du sport, alors que les lieux de diffusion pour les artistes en arts visuels rétrécissent sur l’ensemble du territoire québécois comme peau de chagrin. On a valorisé le sport au profit de bien d’autres choses essentielles au bien-être et au mieux-être. L’art en fait partie (certes, l’art mobilise beaucoup moins de publicités payantes, moins de grandes foules payantes et moins de revenus pour les villes). Les sportifs les mieux payés des ligues majeures ne vous apparaissent-ils pas aujourd’hui bien inutiles dans leurs stades et leurs arenas fermés au public en temps de pandémie ?

Toujours selon la philosophe et sociologue Dominique Méda, « l’un des premiers enseignements de la crise sanitaire, en somme, c’est qu’il est urgent de réétudier la « hiérarchie » sociale des métiers, en accord avec nos valeurs et relativement à leur utilité réelle ». Je pense qu’il est grand temps de reconnaître, à sa juste valeur, la place de l’art dans notre société. Le confinement, imposé par cette situation exceptionnelle, est le bon moment pour réfléchir à la place qu’occupe l’art dans vos vies ? Pourriez-vous survivre au confinement sans musique, sans film, sans lecture, sans les vidéos d’artistes (toutes disciplines confondues) qui vous parlent depuis leur salon ou depuis leur atelier, sans les belles photographies qui nous apaisent, sans les belles peintures qui nous font pétiller la rétine jusqu’aux neurones, sans la créativité de tout un chacun qui se sont trouvés des activités créatives pour rendre le confinement plus supportable ?

On parle beaucoup en ce moment des millions de Canadiens qui se sont inscrits au chômage, d’autres qui travaillent moins qu’avant, qui réussissent à faire du télétravail bon gré mal gré. La plupart des artistes en arts visuels professionnels sont des travailleurs autonomes, sans aucun avantage social, le saviez-vous ? Si certains artistes sont à la retraite et touchent des rentes d’une carrière passée en tant que travailleurs salariés, bon nombre d’artistes en arts visuels sont sans « employeur », se retrouvent, aujourd’hui, sans possibilité d’accéder au chômage, n’ont aucune indemnité en cas d’accident ou de maladie du travail, sont sans sécurité financière… Toutefois, ce qui les rejoint tous en tant que « travailleurs » touchés par la pandémie, c’est qu’ils ont des familles, parfois des enfants dont ils doivent s’occuper impérativement.

Chaque citoyen sera amené à se questionner sur la valeur des métiers essentiels. De cette réflexion commune pourrait naître le désir de changer les choses au niveau des métiers directement liés aux arts. Le confinement pourra aider à se rendre compte du caractère précieux des artistes que nous côtoyons (ou que nous connaissons de nom) et qui nous font passer des moments agréables sur Facebook avec leurs vidéos, leurs images, leurs encouragements, leurs couleurs… et surtout leur optimisme.

Nous nous interrogerons certainement sur la place que nous occupons dans cette société qui débloque des budgets colossaux pour les évènements sportifs alors qu’il ne reste que des miettes pour les arts (sinon, dans le meilleur des cas, des restes de tables qu’on jette en se donnant bonne conscience ou pour acheter la paix pour un moment).

Après la pandémie, quand nous aurons passé à travers cette pénible situation ensemble, que nous vivons tous à notre manière, la volonté citoyenne sera peut-être un levier du changement auprès des élus. Cette pandémie met présentement en pleine lumière la nécessité d’avoir de l’art dans nos vies. Les revendications des artistes (toutes disciplines confondues) sont habituellement silencieuses. Vous ne verrez jamais les artistes avec des pancartes devant le parlement semant le désordre public pour crier leur demande d’améliorer leurs avantages sociaux. Ils s’expriment autrement. L’engagement social se diffuse autrement chez les artistes. Il se diffuse par leur pratique artistique. Tout ce que les artistes voudraient, pour le futur, ce sont des lieux de qualité pour diffuser leur art, qu’ils ne soient pas obligés de payer pour exposer, qu’on ne leur prenne pas la moitié (voire plus) de leurs revenus en cas de vente, que des aides (pensées pour les artistes) soutiennent la recherche et le développement de leur pratique et que les subventions des conseils des arts soient plus facilement accessibles. Tout ce qu’ils souhaitent, ces artistes, c’est d’exister aux yeux des gens qui prennent des décisions quand vient le temps de partager les budgets pour les grands évènements à venir.

Dans certains pays, l’art génère des retombées colossales pour l’État. L’art est considéré comme un investissement. Certains pays sont de gros joueurs au niveau du marché de l’art. Mais où est le Canada, ce grand absent ? Où est le Québec, cet autre grand absent ? Pourquoi ne pas valoriser l’art dès à présent pour en faire un levier économique pour le pays ou la province ? Pourquoi l’art est-il vu comme un frein, voire un boulet, dans l’économie d’un pays ?